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espèces vraies et franches, qui se reproduisent suivant les lois ordinaires à leur génération, jusqu’à ce que de nouvelles causes les fassent, ou rentrer dans leur premier état, ou passer dans un troisième état, différent des deux premiers, ce qui paraît plus vraisemblable. »

Lamarck et le transformisme. Quelques années plus tard, en 1778, un homme que l’on peut considérer comme l’élève de Buffon, car Buffon lui confia pendant quelque temps l’éducation de son fils, et le fit entrer comme conservateur au Jardin du Roi, le botaniste Lamarck, dans le Discours préliminaire de la Flore française, imprimée, grâce à l’intervention de Buffon, par l’imprimerie royale, Lamarck, dis-je, se prononçait aussi nettement que possible en faveur de la doctrine de la mutabilité et de la transformation des espèces.

« Il y a, dit Lamarck[1], des plantes qui diffèrent entièrement dans toutes leurs parties ; il y en a d’autres qui diffèrent seulement dans beaucoup de leurs parties ; d’autres ensuite ne diffèrent que dans quelques-unes de leurs parties ; et enfin il y en a qui ne diffèrent absolument dans aucune de leurs parties.

» Voilà qui est bien certain et bien connu ; mais en rapprochant les plantes en raison de leurs ressemblances et en les éloignant à mesure qu’elles diffèrent, peut-on former des groupes particuliers séparés par des limites bien marquées et bien circonscrites ? Peut-on après cela diviser, et même sous-diviser, ces groupes considérables, et en former d’autres moins composés, mais toujours déterminés par des caractères saillants, sans rompre aucun rapport essentiel ? En un mot, existe-t-il bien réellement des familles que l’on puisse isoler les unes des autres ? Existe-t-il des genres dont les limites ne soient jamais confondues ? Enfin, peut-on distinguer, sans équivoque, les espèces des variétés, et celles-ci des individus ?

» Ce sont là sans doute les problèmes les plus intéressants de la botanique ; mais il y a beaucoup d’apparence qu’on ne pourra de longtemps en trouver la solution affirmative.

» On a cependant agi comme si ces questions n’existaient point, ou n’étaient point proposables ; on a regardé comme certain, ce qui pouvait à peine être supposé ; et en conséquence on a essayé de former des familles du premier ordre, auxquelles on a donné le nom de genres ; on s’est ensuite retourné de mille manières pour faire avec les genres des familles de second ordre, que l’on a nommées familles naturelles ; on a même été jusqu’au point de vouloir réunir plusieurs de ces prétendues familles, pour former des classes, c’est-à-dire des divisions générales que l’on regardait aussi comme naturelles ; mais la nature qui ne se plie nulle part à ces règles que l’on prétend établir sur la marche de ses productions, forme tantôt des interruptions subites ou des retours frappants dans ses rapports, tantôt des nuances imperceptibles qui

  1. Lamarck, Flore française, Discours préliminaire, Paris, 1778, p. xvi.