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quoique de même espèce, soit par la culture, le terrain, le climat, la sécheresse, l’humidité, l’ombre, le soleil, etc. Ces changements sont plus ou moins prompts, plus ou moins durables, disparaissant à chaque génération, ou se perpétuant pendant plusieurs générations, selon le nombre, la force, la durée des causes qui se réunissent pour les former, et selon la nature, la disposition et les mœurs, pour ainsi dire, de chaque plante ; car il est de remarque que telle famille de plantes ne varie que par les racines, telle autre par les feuilles, d’autres par la grandeur, le velouté, la couleur, pendant que d’autres changeront plus facilement par leurs fleurs et leurs fruits. Enfin ces changements ne se font qu’entre les individus de même espèce, ou entre deux espèces très voisines, telles que le chou et le navet. Il n’est personne qui ignore qu’en coupant toutes les étamines d’une tulipe rouge avant l’émission de leur poussière, et qu’en poudrant le stigmate de cette même plante avec les étamines d’une autre tulipe blanche, les graines de cette tulipe rouge produisent des tulipes, dont les unes sont rouges, les autres blanches, d’autres blanches et rouges, de même que deux animaux de même espèce transmettent leurs couleurs différentes aux animaux qu’ils engendrent. Morison a prouvé, par nombre d’exemples, que toutes les variétés de chou, étant semées, dégénèrent les unes dans les autres, et passent successivement dans divers états. Rai en cite beaucoup d’autres que nous supprimons pour abréger. On sait jusqu’où peuvent aller les changements, par la culture, dans les plantes potagères et les froments ; telles plantes transportées dans les jardins ou d’un climat à l’autre, sont si différentes des sylvestres, que le botaniste le plus exercé a peine à les reconnaître ; c’est ainsi que le tabac et le ricin qui forment des arbrisseaux vivaces en Afrique, ne sont qu’herbacés et annuels en Europe ; il en est de même de beaucoup d’autres.

» Il paraît donc suffisamment prouvé, par les faits cités ci-dessus, que l’art, la culture et encore plus le hasard, c’est-à-dire certaines circonstances inconnues, font naître non seulement tous les jours des variétés dans les fleurs curieuses, telles que les tulipes, les anémones, les renoncules, etc., qui ne méritent pas de changer les espèces, mais même quelquefois des espèces nouvelles ; au moins y en a-t-il trois ou quatre de telles qui ont été découvertes depuis cinquante ans, et qui certainement n’auraient pas échappé aux recherches de tous les botanistes, sans compter nombre d’autres plantes qui passent pour des variétés nouvelles, et qui se perpétuent peut-être et forment autant d’espèces. Pourquoi la nature serait-elle incapable de nouveautés qui allassent jusque-là ? Il paraît qu’elle est moins constante et plus diverse dans les plantes que dans les animaux ; et qui connaît les bornes de cette diversité ? Il y a des quadrupèdes et des oiseaux où l’accouplement de deux espèces différentes ne produit rien, il y en a d’autres où il forme une espèce bâtarde, qui ne peut se reproduire et périt dès la première génération ; les végétaux franchissent le pas, et forment, au lieu de mulets, des