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tement Duchesne. Je suis donc fort étonné qu’on ait voulu le faire figurer parmi les précurseurs de Darwin. Mais à cause de cela et aussi parce que son livre est très difficile à trouver, je crois utile de parler encore de lui et de multiplier les preuves de sa croyance à l’immutabilité des espèces.

Après avoir dit qu’on a appliqué de façons très diverses les mots « genre » et « espèce » il ajoute[1] : « Delà, parmi les naturalistes, les uns ont dit que, dans les plantes, il n’y avait que les genres de fixés par la nature, et que les espèces se formaient, se détruisaient et se renouvelaient, suivant certaines causes accidentelles ; les autres ont voulu que les espèces fussent stables ; donnant le nom de variétés aux plantes dont la culture pouvait changer les différences : mais ces derniers, en ne resserrant pas assez leur principe, ont été obligés de regarder comme espèces toutes les races constantes, ce qui a multiplié les espèces au point où elles le sont, dans les ouvrages de nomenclature. Enfin, il semble que ce soit cette confusion qui ait porté d’autres botanistes à dire que ni les espèces ni les genres n’étaient stables dans les plantes ; les mulets ou hybrides y étant fertiles et formant tous les jours de nouvelles espèces, qui quelquefois même, par la singularité de leurs caractères, ne pouvaient se ranger sous aucun genre ; et que les anciennes espèces périssaient quelquefois totalement par d’autres causes : hypothèse peu probable, et dont personne n’a encore donné de preuves, ainsi que j’espère le faire voir dans la Remarque particulière où je traite des fécondations étrangères. »

Dans les pages suivantes, il est encore plus précis : « Lorsque, dit-il[2], guéri des préjugés des anciens on a su, sans en pouvoir douter, que les corps organisés doivent leur existence aux œufs et aux graines ; après qu’Harvey a eu prouvé cette grande vérité ; quand les observateurs qui l’ont suivi, ont eu découvert qu’aucun œuf et qu’aucune graine ne germait et ne produisait d’êtres vivants, sans avoir été fécondés ; les naturalistes ont établi la loi de l’immutabilité des espèces, en définissant l’espèce une succession constante d’individus, qui périssent, mais se renouvellent en même temps par la génération, au moyen du concours des deux sexes. En effet, l’expérience nous fait voir tous les jours, que les animaux d’espèces différentes refusent ordinairement de s’accoupler et que ceux qui s’accouplent, comme l’âne avec la jument, le cheval avec l’ânesse, le faisan avec la poule, et le serin, ou la serine avec les chardonnerets mâles et femelles, ne font que des mulets, des bardots et autres bâtards qu’on nomme des hybrides, qui ressemblent en partie à l’espèce maternelle, et en partie à l’espèce paternelle, mais auxquels la nature refuse la faculté de se reproduire, s’opposant par ce moyen à la formation de nouvelles espèces.

» On cite, il est vrai, des observations de M. Sprengel, par lesquelles il

  1. Remarques, p. 19.
  2. Ibid., p. 43 et suiv.