Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Chorazan et de la Syrie le poil est devenu plus long, plus fin, plus fourni, et les couleurs se sont uniformément adoucies ; le noir et le roux sont devenus d’un brun clair, le gris brun est devenu gris cendré, et en comparant un chat sauvage de nos forêts avec un chartreux, on verra qu’ils ne diffèrent en effet que par cette dégradation nuancée de couleurs ; ensuite, comme ces animaux ont plus ou moins de blanc sous le ventre et aux côtés, on concevra aisément que pour avoir des chats tout blancs et à longs poils, tels que ceux que nous appelons proprement chats d’Angora, il n’a fallu que choisir dans cette race adoucie ceux qui avaient le plus de blanc aux côtés et sous le ventre, et qu’en les unissant ensemble on sera parvenu à leur faire produire des chats entièrement blancs, comme on l’a fait aussi pour avoir des lapins blancs, des chiens blancs, des chèvres blanches, des cerfs blancs, des daims blancs, etc. »

Dans l’histoire du pigeon, il trace avec une précision plus admirable encore les procédés de la sélection en vue de la production de races nouvelles. Le lecteur s’assurera par cette citation de l’erreur que commettent la plupart des gens en s’imaginant que Darwin est le premier qui ait compris l’importance de la sélection au point de vue de la formation des races et des espèces. « Les cinq espèces de pigeons indiquées par nos nomenclateurs, dit Buffon[1], sont : 1o le pigeon domestique ; 2o le pigeon romain, sous l’espèce duquel ils comprennent seize variétés ; 3o le pigeon biset ; 4o le pigeon de roche avec une variété ; 5o le pigeon sauvage. Or, ces cinq espèces, à mon avis, n’en font qu’une, et voici la preuve : le pigeon domestique et le pigeon romain avec toutes ses variétés, quoique différents par la grandeur et par les couleurs, sont certainement de la même espèce, puisqu’ils produisent ensemble des individus féconds et qui se reproduisent. On ne doit donc pas regarder les pigeons de volière et les pigeons de colombier, c’est-à-dire les grands et les petits pigeons domestiques, comme deux espèces différentes, et il faut se borner à dire que ce sont deux races dans une seule espèce, dont l’une est plus domestique et plus perfectionnée que l’autre ; de même, le pigeon biset, le pigeon de roche et le pigeon sauvage sont trois espèces nominales qu’on doit réduire à une seule, qui est celle du biset, dans laquelle le pigeon de roche et le pigeon sauvage ne sont que des variétés très légères, puisque, de l’aveu même de nos nomenclateurs, ces trois oiseaux sont à peu près de la même grandeur, que tous trois sont de passage, se perchent, ont en tout les mêmes habitudes naturelles et ne diffèrent entre eux que par quelques teintes de couleurs.

» Voilà donc nos cinq espèces nominales déjà réduites à deux, savoir, le biset et le pigeon, entre lesquelles deux il n’y a de différence réelle, sinon que le premier est sauvage et le second est domestique : je regarde le biset comme la souche première, de laquelle tous les autres pigeons tirent leur

  1. Buffon, t. V, p. 505.