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question dans laquelle il risquait fort de s’exposer à la censure de la Sorbonne. Dans quelques passages, comme dans celui que j’ai reproduit plus haut, il affirme la création des espèces animales et végétales. Cette affirmation est sa sauvegarde contre la Sorbonne, la réponse qu’il prépare aux accusations d’impiété dont il pourrait être l’objet. Ainsi mis à couvert, il parle de la « filiation » de tous les êtres vivants, de leurs « rapports généalogiques », des ressemblances qu’ils offrent dans leurs formes extérieures et dans leur organisation interne, de la vaste chaîne qu’ils forment et dont l’homme occupe le sommet ; il s’attache dans maintes occasions à montrer que telles ou telles espèces sont nées de la transformation de telles ou telles autres, enfin il s’efforce de déterminer les moyens employés par la nature ou par l’homme pour opérer ces transformations. C’est cette dernière partie de sa doctrine qu’il me reste à examiner. Je n’aurai pas de peine à montrer qu’elle n’est pas inférieure aux autres et que sur ce terrain, comme sur les autres, il a non seulement tracé la voie que devaient suivre ses successeurs, mais qu’il y a marqué presque tous les buts qu’ils devaient atteindre.

Le climat
et la nourriture.
Les causes naturelles auxquelles Buffon attribue les transformations subies par les êtres vivants sont particulièrement le climat et la nourriture. Mais, ainsi que nous le verrons, les autres causes de transformation aujourd’hui admises n’avaient pas entièrement échappé à son attention.

Dans son Histoire naturelle du chien[1], c’est à l’influence du climat qu’il attribue la formation des nombreuses races que nous présente cette espèce.

« Et de même, dit-il, que de tous les animaux le chien est celui dont le naturel est le plus susceptible d’impression et se modifie le plus aisément par les causes morales, il est aussi de tous celui dont la nature est le plus sujette aux variétés et aux altérations causées par les influences physiques : le tempérament, les facultés, les habitudes du corps varient prodigieusement ; la forme même n’est pas constante : dans le même pays un chien est très différent d’un autre chien, et l’espèce est, pour ainsi dire, toute différente d’elle-même dans les différents climats. De là cette confusion, ce mélange et cette variété de races si nombreuses qu’on ne peut en faire l’énumération ; de là ces différences si marquées pour la grandeur de la taille, la figure du corps, l’allongement du museau, la forme de la tête, la longueur et la direction des oreilles et de la queue, la couleur, la qualité, la quantité du poil, etc., en sorte qu’il ne reste rien de constant, rien de commun à ces animaux que la conformité de l’organisation intérieure et la faculté de pouvoir tous produire ensemble. Et comme ceux qui diffèrent le plus les uns des autres à tous égards ne laissent pas de produire des individus qui peuvent se perpétuer en produisant eux-mêmes d’autres individus,

  1. Buffon, t. VIII, p. 588 et suiv.