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qu’on vient à les appliquer en particulier aux choses ou aux êtres qu’ils représentent. »

Il termine sa Nomenclature des singes par des considérations remarquables, qui sont comme le résumé de toute sa doctrine touchant l’organisation et les rapports des corps inorganiques et des êtres vivants. Je ne puis résister au désir de placer ces magnifiques pages sous les yeux du lecteur, en n’en éliminant que les parties relatives aux questions déjà traitées plus haut.

« L’esprit, dit-il[1], quoique resserré par les sens, quoique souvent abusé par leurs faux rapports, n’en est ni moins pur ni moins actif ; l’homme, qui a voulu savoir, a commencé par les rectifier, par démontrer leurs erreurs ; il les a traités comme des organes mécaniques, des instruments qu’il faut mettre en expérience pour les vérifier et juger de leurs effets : marchant ensuite la balance d’une main et le compas de l’autre, il a mesuré et le temps et l’espace ; il a reconnu tous les dehors de la nature, et ne pouvant en pénétrer l’intérieur par les sens il l’a deviné par comparaison et jugé par analogie ; il a trouvé qu’il existait dans la nutrition. Il a reconnu que l’homme, le quadrupède, le cétacé, l’oiseau, le reptile, l’insecte, l’arbre, la plante, l’herbe, se nourrissent, se développent et se reproduisent par cette même loi ; et que si la manière dont s’exécutent leur nutrition et leur génération paraît si différente, c’est que, quoique dépendante d’une cause générale et commune, elle ne peut s’exercer en particulier que d’une façon relative à la forme de chaque espèce d’êtres ; et chemin faisant (car il a fallu des siècles à l’esprit humain pour arriver à ces grandes vérités, desquelles toutes les autres dépendent), il n’a cessé de comparer les êtres ; il leur a donné des noms particuliers pour les distinguer les uns des autres, et des noms généraux pour les réunir sous un même point de vue ; prenant son corps pour le module physique de tous les êtres vivants, et les ayant mesurés, sondés, comparés dans toutes leurs parties, il a vu que la forme de tout ce qui respire est à peu près la même ; qu’en disséquant le singe on pouvait donner l’anatomie de l’homme ; qu’en prenant un autre animal on trouvait toujours le même fond d’organisation, les mêmes sens, les mêmes viscères, les mêmes os, la même chair, le même mouvement dans les fluides, le même jeu, la même action dans les solides ; il a trouvé dans tous un cœur, des veines et des artères ; dans tous, les mêmes organes de circulation, de respiration, de digestion, de nutrition, d’excrétion ; dans tous, une charpente solide, composée des mêmes pièces à peu près assemblées de la même manière ; et ce plan toujours le même, toujours suivi de l’homme au singe, du singe aux quadrupèdes, des quadrupèdes aux cétacés, aux oiseaux, aux poissons, aux reptiles ; ce plan, dis-je, bien saisi par

  1. Buffon, t. X, p. 97.