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nature des groupes artificiels auxquels les naturalistes donnent le nom d’espèces.

Des citations faites plus haut, il est aisé de dégager les arguments sur lesquels Buffon étayait sa théorie de l’enchaînement de tous les organismes vivants.

Arguments de Buffon en faveur de l’enchaînement des animaux. Le premier argument sur lequel Buffon s’appuie pour admettre l’enchaînement des animaux est tiré des ressemblances qui existent dans l’organisation d’animaux souvent très éloignés en apparence les uns des autres. Je rappellerai ce qu’il dit à propos de l’anatomie du cochon et de l’âne. Mais l’anatomie comparée n’était encore qu’à l’état naissant, on ne savait rien du développement embryogénique des animaux, on ignorait leur structure histologique ; il n’est donc pas étonnant que Buffon n’ait que peu insisté sur les analogies d’organisation qui existent entre les êtres vivants. Cette partie de la question devait être la tâche de notre siècle.

Les espèces intermédiaires. Le deuxième argument est tiré de l’existence des espèces qu’il nomme « ambiguës » et qu’il considère, avec raison, comme « remplissant les intervalles de la chaîne », comme « en formant les nœuds, les points intermédiaires ». Le nombre des espèces « ambiguës, » « intermédiaires » connues à l’époque de Buffon n’était encore que très peu considérable. On ne doit qu’admirer davantage la sagacité dont faisait preuve l’illustre naturaliste en attirant sur elles l’attention, et en signalant l’importance qu’il fallait leur attribuer dans la détermination des rapports qui unissent les uns aux autres les êtres vivants. Dans sa remarquable histoire des mammifères et des oiseaux, il ne laisse jamais passer l’occasion de signaler les espèces qui lui paraissent servir de trait d’union entre des espèces voisines. Le lecteur me pardonnera d’ajouter quelques exemples à la citation que j’ai déjà faite de l’histoire du cochon. À propos d’un oiseau aquatique de Surinam, auquel il donne le nom de grèbe-foulque (Plotus surinamensis Gmel.), il écrit[1] : « La nature trace des traits d’union partout où nous voudrions marquer des intervalles et faire des coupures ; sans quitter brusquement une forme pour passer à une autre, elle emprunte de toutes deux et compose un être mi-parti qui réunit les deux extrêmes et remplit jusqu’au moindre vide de l’ensemble d’un tout où rien n’est isolé. Tels sont les traits de l’oiseau grèbe-foulque jusqu’à ce jour inconnu et qui nous a été envoyé de l’Amérique méridionale ; nous lui avons donné ce nom parce qu’il porte les deux caractères du grèbe et de la foulque. »

L’histoire de l’anhinga (Plotus anhinga L.), oiseau aquatique du Brésil et la Guyane, remarquable par la longueur démesurée de son cou, lui inspire des réflexions qui peuvent paraître un peu enfantines aux savants de notre époque, mais qui n’en indiquent pas moins la préoccupation constante par

  1. Histoire naturelle des oiseaux, t. VIII, p. 129.