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Tandis que la préoccupation des partisans de la fixité, de l’immutabilité des espèces est d’établir des différences entre les êtres, celle de Buffon, comme de tous les partisans de la mutabilité des espèces et de l’enchaînement des organismes, est de montrer qu’à côté des différences indéniables existent des ressemblances non moins manifestes, reliant les espèces les unes aux autres, c’est-à-dire réduisant les espèces à l’état de groupes idéaux, créés par le seul besoin de la mise en ordre de nos connaissances. Écoutons encore Buffon. Dans son histoire de l’âne il dit[1] : « Si, dans l’immense variété que nous présentent tous les êtres animés qui peuplent l’univers, nous choisissons un animal ou même le corps de chacun pour servir de base à nos connaissances et y rapporter, par la voie de la comparaison, les autres êtres organisés, nous trouverons que, quoique tous ces êtres existent solitairement et que tous varient par des différences graduées à l’infini, il existe en même temps un dessein primitif et général qu’on peut suivre très loin et dont les dégradations sont bien plus lentes que celles des figures et des autres rapports apparents, car, sans parler des organes de la digestion, de la circulation et de la génération, qui appartiennent à tous les animaux et sans lesquels l’animal cesserait d’être animal et ne pourrait ni subsister ni se produire, il y a, dans les parties mêmes qui contribuent à la variété de la forme extérieure, une prodigieuse ressemblance qui nous rappelle nécessairement l’idée d’un premier dessein, sur lequel tout semble avoir été conçu. Le corps du cheval, par exemple, qui, du premier coup d’œil, paraît si différent du corps de l’homme, lorsqu’on vient à les comparer en détail et partie par partie, au lieu de surprendre par la différence, n’étonne plus que par la ressemblance singulière et presque complète qu’on y trouve. En effet, prenez le squelette de l’homme, inclinez les os du bassin, accourcissez les os des cuisses, des jambes et des bras, allongez ceux des pieds et des mains, soudez ensemble les phalanges, allongez les mâchoires en raccourcissant l’os frontal, et enfin allongez aussi l’épine du dos, ce squelette cessera de représenter la dépouille d’un homme et sera le squelette d’un cheval ; car on peut aisément supposer qu’en allongeant l’épine du dos et des mâchoires on augmente en même temps le nombre des vertèbres, des côtes et des dents, et ce n’est en effet que par le nombre de ces os, qu’on peut regarder comme accessoires, et par l’allongement, le raccourcissement ou la jonction des autres, que la charpente du corps de cet animal diffère de la charpente du corps humain. Mais, pour suivre ces rapports encore plus loin, que l’on considère séparément quelques parties essentielles à la forme, les côtes, par exemple, on les trouvera dans l’homme, dans tous les quadrupèdes, dans les oiseaux, dans les poissons, et on en suivra les vestiges jusque dans la tortue, où elles paraissent encore dessinées par les sillons qui sont sous son écaille ; que l’on con-

  1. Buffon, t. VIII, p. 519.