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tie, de réduire la nature à de petits systèmes qui lui sont étrangers, et de ses ouvrages immenses en former arbitrairement autant d’assemblages détachés ; enfin, de rendre, en multipliant les noms et les représentations, la langue de la science plus difficile que la science elle-même. »

Un peu plus loin, il ajoute[1] : « La première vérité qui sort de cet examen sérieux de la nature est une vérité peut-être humiliante pour l’homme ; c’est qu’il doit se ranger lui-même dans la classe des animaux, auxquels il ressemble par tout ce qu’il a de matériel, et même leur instinct lui paraîtra peut-être plus sûr que sa raison, et leur industrie plus admirable que ses arts. Parcourant ensuite successivement et par ordre les différents objets qui composent l’univers, et se mettant à la tête de tous les êtres créés, il verra avec étonnement qu’on peut descendre par des degrés presque insensibles de la créature la plus parfaite jusqu’à la matière la plus informe, de l’animal le mieux organisé jusqu’au minéral le plus brut ; il reconnaîtra que ces nuances imperceptibles sont le grand œuvre de la nature ; il les trouvera ces nuances, non seulement dans les grandeurs et dans les formes, mais dans les mouvements, dans les générations, dans les successions de toute espèce. »

Après avoir ainsi affirmé la continuité de tous les êtres vivants, il revient aux méthodes de classification et il insiste sur la fausseté des idées qui ont présidé à leur édification.

« En approfondissant cette idée, dit-il[2], on voit clairement qu’il est impossible de donner un système général, une méthode parfaite, non seulement pour l’histoire naturelle entière, mais même pour une seule de ses branches ; car pour faire un système, un arrangement, en un mot une méthode générale, il faut que tout y soit compris ; il faut diviser ce tout en différentes classes, partager ces classes en genres, sous-diviser ces genres en espèces, et tout cela suivant un ordre dans lequel il entre nécessairement de l’arbitraire. Mais la nature marche par des gradations inconnues, et par conséquent elle ne peut pas se prêter totalement à ces divisions, puisqu’elle passe d’une espèce à une autre espèce, et souvent d’un genre à un autre genre, par des nuances imperceptibles ; de sorte qu’il se trouve un grand nombre d’espèces moyennes et d’objets mi-partis qu’on ne sait où placer, et qui dérangent nécessairement le projet du système général : cette vérité est trop importante pour que je ne l’appuie pas de tout ce qui peut la rendre claire et évidente.

» Prenons pour exemple la botanique, cette belle partie de l’histoire naturelle qui par son utilité a mérité de tout temps d’être la plus cultivée, et rappelons à l’examen les principes de toutes les méthodes que les botanistes nous ont données ; nous verrons avec quelque surprise qu’ils ont eu tous en

  1. De la manière d’étudier l’Histoire naturelle, t. Ier, p. 6.
  2. [Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire et théorie de la Terre/Premier discours#7|Ibid., p. 7]].