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thique respect que lui prodiguaient, à Montbard et à Buffon, ses voisins, tenanciers et ouvriers, sont un suffisant témoignage de la bonté de son cœur et de la douceur de ses procédés. Ses biographes nous ont conservé des preuves irréfutables de ces qualités.

Mlle Blesseau, qui fut attachée à son service pendant plus de quarante ans, nous a laissé le tableau des bienfaits qu’il répandait autour de lui et du plaisir qu’il éprouvait à rendre service à ceux qui en avaient besoin.

« Le grand plaisir dont il jouit à sa campagne était d’employer deux à trois cents pauvres manouvriers à travailler dans son château à des ouvrages de pur agrément, et de faire ainsi du bien à de pauvres gens qui, sans lui, eussent été très malheureux. Fort souvent, les après-midi, il se distrayait à les voir travailler et prenait plaisir à se faire rendre compte de la situation des plus misérables, disant que c’était une manière de faire l’aumône sans nourrir les paresseux, et que c’était une grande satisfaction pour lui de soulager tant de pauvres qui autrement seraient dans la misère. Il n’y a presque pas une famille honnête dans cette ville à laquelle il n’ait rendu des services importants ; l’intérêt des pauvres ne lui a pas été moins cher : il leur en a donné des preuves dans les temps de disette qu’on a éprouvée bien des années, et surtout l’année 1767. Le 8 décembre, à la suite d’une révolte causée par la cherté des grains, M. de Buffon fit acheter une grande quantité de blé à quatre livres le boisseau, et le fit distribuer à tous ceux qui en avaient besoin, au prix de cinquante sous. »

Il se plaisait à embellir Montbard, non seulement à cause de l’agrément qu’il éprouvait à travailler au milieu de la belle nature qu’il y avait artificiellement créée, mais encore parce qu’il y voyait un moyen de faire du bien aux malheureux. « On couvrirait mes jardins de pièces de six francs, disait-il un jour à sa sœur, Mme Nadault, que ce ne serait rien encore au prix de ce qu’ils m’ont coûté. » Son beau-frère, Benjamin Nadault, lui ayant écrit que les ouvriers perdaient beaucoup de temps, Buffon lui répond : « Laissez-les faire et n’oubliez jamais que mes jardins sont un prétexte pour faire l’aumône. » Il recherchait pour ses travaux les ouvriers les plus pauvres, sans se préoccuper de savoir s’ils étaient les plus forts et les plus laborieux. Lorsqu’il fit combler les anciens fossés du château, il avait donné ordre de faire transporter la terre à dos d’homme et recommandait « que les hottes fussent petites » ; le travail durerait ainsi plus longtemps et il nourrirait un plus grand nombre d’ouvriers.

Sa bonté allait souvent jusqu’à la faiblesse. Je n’en veux d’autres preuves que les mauvais tours qu’il se laissait jouer par le père Ignace, capucin qui s’était attaché à son service et qui, s’il lui portait une vive affection, abusait souvent du naturaliste[1].

  1. « Le père Ignace, dit Humbert Bazile, était capucin ; il en avait la tournure et la physionomie. Petit, gras et sale, avec une grosse tête, des épaules hautes, un cou apoplec-