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L’établissement des espèces par Linné, la rareté des produits féconds entre individus appartenant à des espèces différentes et aussi l’influence des idées religieuses poussèrent la science dans une voie nouvelle, en établissant toutes les classifications et toutes les doctrines naturelles sur l’idée de l’immutabilité des espèces. Buffon lui-même, tout en combattant cette idée, semble l’adopter dans quelques passages de ses œuvres. On peut cependant, à juste titre, le considérer comme le véritable fondateur d’une doctrine diamétralement opposée, celle de la transformation des espèces.

Dans le discours qui sert pour ainsi dire de préface à son Histoire naturelle, il affirme nettement l’idée que toutes les classifications adoptées par les naturalistes sont artificielles, ne répondent à rien de ce qui existe dans l’univers et ne doivent être envisagées que comme des moyens de mettre en ordre nos connaissances ; il nie l’existence des espèces, des genres, des familles, il affirme que l’individu seul, répond à une réalité, et il montre tous les êtres vivants reliés les uns aux autres par des traits communs, de même que plus tard il devait admettre des liens rattachant la matière vivante à la matière inorganique. Je lui laisse la parole :

Buffon et les méthodes de classification. Il dit des méthodes[1] : « Mais revenons à l’homme qui veut s’appliquer sérieusement à l’étude de la nature, et reprenons-le au point où nous l’avons laissé, à ce point où il commence à généraliser ses idées, et à former une méthode d’arrangement et des systèmes d’explication : c’est alors qu’il doit consulter les gens instruits, lire les bons auteurs, examiner leurs différentes méthodes, et emprunter des lumières de tous côtés. Mais comme il arrive ordinairement qu’on se prend alors d’affection et de goût pour certains auteurs, pour une certaine méthode, et que souvent, sans un examen assez mûr, on se livre à un système quelquefois mal fondé, il est bon que nous donnions ici quelques notions préliminaires sur les méthodes qu’on a imaginées pour faciliter l’intelligence de l’histoire naturelle : ces méthodes sont très utiles, lorsqu’on ne les emploie qu’avec les restrictions convenables ; elles abrègent le travail, elles aident la mémoire, et elles offrent à l’esprit une suite d’idées, à la vérité composée d’objets différents entre eux, mais qui ne laissent pas d’avoir des rapports communs, et ces rapports forment des impressions plus fortes que ne pourraient faire des objets détachés qui n’auraient aucune relation. Voilà la principale utilité des méthodes, mais l’inconvénient est de vouloir trop allonger ou trop resserrer la chaîne, de vouloir soumettre à des lois arbitraires les lois de la nature, de vouloir la diviser dans des points où elle est indivisible, et de vouloir mesurer ses forces par notre faible imagination. Un autre inconvénient qui n’est pas moins grand, et qui est le contraire du premier, c’est de s’assujettir à des méthodes trop particulières, de vouloir juger du tout par une seule par-

  1. De la manière d’étudier l’Histoire naturelle, t. Ier, p. 4.