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d’une si haute complexité, ce qui appartient à la vie psychique élémentaire de l’atome. En présentant, dans ce roman classique, l’affinité élective comme le ressort même des actions humaines et, partant, de l’histoire du monde, la nature purement mécanique des processus organiques les plus complexes a été ainsi indiquée d’une manière très profonde par le grand penseur et le grand poète. Si la « volonté » de l’homme et des animaux supérieurs paraît libre, en comparaison de la volonté « fixe » de l’atome, c’est là une illusion, causée par le haut degré de complication du mouvement volontaire chez l’homme, comparé à la simplicité extrême du mouvement volontaire de l’atome. Partout et toujours les atomes veulent la même chose, parce qu’en présence d’un atome de tout autre élément leur tendance est constante et invariable : chacun de leurs mouvements est donc déterminé. Au contraire, les penchants et les mouvements volontaires des organismes supérieurs paraissent libres et indépendants, parce que dans les incessants échanges matériels de ceux-ci les atomes changent constamment leur situation respective et leur mode d’association, et que le résultat qui se dégage de l’ensemble de ces innombrables mouvements volontaires des atomes constituants est extrêmement complexe et incessamment varié. »

M. Hæckel ayant ainsi représenté « toute matière comme animée, tout atome comme doué de sensation, de volonté », s’efforce de montrer, ce qui à mon avis est inexact, que les corps vivants se distinguent des corps non vivants par la faculté de reproduction, ou, pour parler son langage, par la « reproduction ou mémoire » ; car il considère ces deux termes comme synonymes et équivalents. « Toutes les plastidules, dit-il[1], possèdent la mémoire ; cette aptitude manque à toutes les autres molécules. » Plus loin : « Nous sommes convaincu que, sans l’hypothèse d’une mémoire inconsciente de la matière vivante, les plus importantes fonctions de la vie sont, en somme, inexplicables. La capacité d’avoir des idées et de former des concepts, le pouvoir de la pensée et de la conscience, de l’exercice et de l’habitude, de la nutrition et de la reproduction, repose sur la fonction de la mémoire inconsciente, dont l’activité a une valeur infiniment plus grande que celle de la mémoire consciente. » Plus loin encore[2] : « Le groupe des substances plastiques est seul doué de la mémoire ; seules, les plastidules sont douées du pouvoir de reproduction, et cette mémoire inconsciente des plastidules détermine leur mouvement moléculaire caractéristique. » Enfin, il dit encore[3] : « C’est incontestablement la reproduction qui, plus que toutes les autres fonctions, caractérise les organismes en regard des corps inorganiques. Aucun corps inorganique n’est doué de la faculté de reproduction. » J’ai déjà indiqué que cette dernière proposition est erronée.

  1. Hæckel, Essais de psychologie cellulaire, trad. fr., p. 44.
  2. Ibid., p. 45.
  3. Ibid., p. 47.