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naturalistes du xviiie siècle. Elle leur paraissait si simple qu’il n’y a pas de sarcasmes et de railleries dont ils ne fissent usage contre les partisans de l’épigenèse, c’est-à-dire contre ceux qui « n’admettent point de germes préformés, et qui veulent que l’animal soit généralement engendré, parties après parties, de la réunion de différentes molécules, qui s’assemblent en vertu de certains rapports.[1] » Parmi les partisans de l’épigenèse, le plus illustre alors était Buffon. C’est à lui surtout que Bonnet fait allusion, quand il dit : « Soutenir que l’animal se façonne par apposition, c’est préférer Scudéry à Bossuet, le roman à l’histoire[2]. » C’est de lui qu’il dit : « Des sages appelés à éclairer le monde ont choqué les règles de la logique la plus commune ils ont jugé du temps où les parties d’un animal ont commencé d’exister par celui où elles ont commencé à devenir visibles ; et tout ce qu’ils ne voyaient point, n’existait point[3]. » C’est encore à lui qu’il adresse ces paroles peu aimables : « C’est sur ces apparences trompeuses qu’on a imaginé que l’animal se formait par apposition, comme une végétation chimique. L’on a bâti là-dessus des systèmes plus hardis que solides, et qu’un intérêt secret étaye, défend et propage[4]. »

Les partisans de l’emboîtement ne se faisaient cependant pas tout à fait illusion sur les difficultés de leur système. Il ne pouvait échapper à leur perspicacité que l’esprit conçoit difficilement comment une série indéfinie de germes d’hommes ou de poulets peuvent être emboîtés dans chaque homme ou dans chaque poulet. Ils essayaient de résoudre cette difficulté ou plutôt de l’écarter, mais sans y pouvoir parvenir. Qu’on en juge par les explications de Bonnet[5] : « Le terme d’emboîtement, dit-il, dont on se sert en parlant des germes, réveille une idée qui n’est point du tout exacte. Les germes ne sont pas renfermés, comme des boîtes ou des étuis, les uns dans les autres : un germe fait partie d’un autre germe, comme une graine fait partie de la plante sur laquelle elle se développe. Cette graine renferme une petite plante, qui a aussi ses graines dans chacune desquelles se trouve une plantule d’une petitesse proportionnée. Cette plantule a elle-même ses graines et celles-ci des plantules incomparablement plus petites, etc., etc. Toute cette suite d’êtres organisés, toujours décroissants, fait partie de la première plante et y prend ses premiers accroissements. » « Il est très connu, ajoute-t-il, que les œufs croissent dans les poules vierges, et il est bien démontré aujourd’hui que le germe y préexiste. Ce germe y croît donc aussi, mais ce germe en renferme d’autres qui croissent avec lui et par lui. »

À notre époque, le microscope a pénétré si profondément dans l’organisa-

  1. Bonnet, ibid., p. 275, note 3.
  2. Ibid., p. 261.
  3. Ibid., p. 261.
  4. Ibid., p. 262.
  5. Ibid., p. 269, note 2.