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verre qu’il transporte sous le microscope ; il approche alors du liquide olfactif une petite aiguille portant à son extrémité une gouttelette d’une essence odorante ; immédiatement la goutte de liquide olfactif change de forme et même se déplace. Les molécules gazeuses de l’essence, en venant frapper sa surface, suffisent pour déterminer ce double mouvement. La conséquence de cette expérience est facile à tirer : dans la nature, l’ébranlement du cil vibratile de la cellule olfactive est déterminé par les vibrations des molécules gazeuses dites odorantes qui viennent frapper le liquide olfactif dont le cil est recouvert ; l’ébranlement moléculaire du cil est transmis au corps de la cellule olfactive, puis au nerf olfactif qui le communique aux centres nerveux olfactifs ; là cette vibration moléculaire se transforme en ce que nous nommons la sensation d’odeur. Ce petit fait ne confirme-t-il pas ce que je disais tout à l’heure, que quand nous voyons un corps matériel quelconque entrer en mouvement, notre première préoccupation doit être de chercher la cause déterminante du mouvement, au lieu de nous endormir dans une douce quiétude, après avoir déclaré que tel ou tel mouvement, dont nous ne saisissons pas la cause, est « spontané ».

Pour moi, je ne pense pas qu’il y ait plus de mouvements spontanés chez les êtres vivants que dans les corps inorganiques ; je crois que tout mouvement, qu’il consiste en un simple changement de forme ou en un déplacement du corps entier, est nécessairement provoqué par un agent extérieur, ou, pour mieux dire, par un mouvement antécédent.

Il me reste à parler de la sensibilité, eu, pour employer un terme qui est plus à la mode parmi les biologistes modernes, de l’irritabilité.

Quand on voit une monère se déplacer ou changer de forme sous l’influence du contact d’un corps étranger, on dit qu’elle est sensible ou irritable, et l’on ajoute que la sensibilité ou l’irritabilité est une propriété appartenant en propre et exclusivement aux êtres vivants. C’est là encore une manière de voir à laquelle nous devons, je pense, renoncer. Si, en effet, nous disons que la monère est sensible parce qu’elle change de forme quand on la touche, ne devrait-on pas en dire autant du liquide olfactif, qui se comporte exactement de la même façon quand on approche de lui une goutte d’essence ? La vérité est que ces mots : sensibilité et irritabilité ne veulent pas dire autre chose que ceci : « Quand un agent extérieur agit sur un corps déterminé, ce dernier obéit à l’action qui s’exerce sur lui. » Or, ce fait n’est pas exclusivement propre à la matière vivante, il nous est offert par tous les corps que nous connaissons, avec cette différence que, suivant les corps, il est plus ou moins manifeste.

L’étude comparée que nous venons de faire des propriétés biologiques de la monère nous permet, je crois de conclure, sans crainte de nous tromper, que toutes ces propriétés se retrouvent dans la matière non vivante, mais que dans la monère elles se manifestent avec une intensité tellement consi-