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qu’une différence de plus ou de moins ; la nature des mouvements sera la même.

On peut, il est vrai, objecter que la monère change de forme spontanément, tandis que le corps inorganique n’en change que sous l’influence d’agents extérieurs, tels que la chaleur. Mais sachant déjà que l’épithète de « spontanée » appliquée à un phénomène n’a été imaginée que pour cacher notre ignorance de la cause déterminante de ce phénomène, nous ne nous laisserons pas entraîner à considérer comme spontanés tous les mouvements dont nous ignorons la cause. Est-ce que le paysan qui voit une nappe de brouillard s’élever du sol et gravir lentement le flanc d’une montagne pour aller former un nuage à son sommet, n’est pas tenté de croire ou plutôt ne croit pas que le mouvement du brouillard est spontané ? Et cependant nous savons ce qu’il faut penser de cette prétendue spontanéité.

Lors donc que nous constatons dans le protoplasma de la monère un changement, ou lorsque nous voyons ce petit organisme se déplacer, nous devons rechercher quel est l’agent qui détermine l’une ou l’autre de ces deux sortes de mouvements. Alors même qu’il nous serait impossible de découvrir cet agent, nous ne devrions pas imiter le paysan qui, dans son ignorance, admet des effets sans cause, ou, si vous préférez cette expression, des phénomènes sans antécédents.

Sait-on pourquoi la légère boule de sureau d’un pendule électrique s’approche d’un bâton de verre électrisé par frottement, puis s’en éloigne après l’avoir louché ? non, certes ; cependant le lecteur sourirait, sans nul doute, de commisération, si je lui disais que la boule se comporte de cette façon parce que cela lui plaît ; qu’elle se rapproche du bâton de verre parce qu’il lui est sympathique, que si elle s’en éloigne après le contact, c’est parce que, après avoir fait sa connaissance elle le considère comme dangereux. En d’autres termes, on ne saurait admettre que les mouvements de la balle de sureau sont spontanés, c’est-à-dire indépendants de toute autre cause que la volonté de la balle. N’est-ce pas ainsi cependant qu’on agit quand, voyant une monère aller au-devant d’un rayon de soleil qui tombe sur l’eau, on affirme qu’elle se meut spontanément ; ce qui revient à dire qu’il lui plaît d’aller au-devant du rayon lumineux, que le rayon lui est sympathique. On me permettra de citer un petit fait qui me paraît fort intéressant au point de vue des changements de forme et des mouvements de déplacement.

Wolff a constaté dans ces derniers temps, que l’appareil olfactif de l’abeille commune est formée par la réunion de petites cellules offrant à leur extrémité périphérique une cupule au centre de laquelle est inséré un long filament. Dans cette cupule se trouve un liquide visqueux qui se répand le long du filament. M. Wolff[1] place une goutte de ce liquide sur une lamelle de

  1. Wolff, Le Mécanisme de l’odorat, in Revue internationale des sciences, 1878, p. 422.