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un corps peu dense, liquide ou gazeux, et d’une constitution chimique complexe, tel qu’une essence ou un corps gras, nous verrons l’oxydation se produire simultanément dans tous les points de sa masse et donner naissance à des produits d’autant plus nombreux que dans sa composition chimique entrent un plus grand nombre d’éléments. La matière vivante, le protoplasma, étant, de tous les corps, le plus complexe chimiquement, devons-nous être étonnés que son oxydation soit accompagnée de phénomènes plus divers ? Au fond, la nature de ces phénomènes est toujours identique et la respiration de l’organisme vivant est aussi bien soumise aux lois de la chimie que l’oxydation d’un simple morceau de fer.

La respiration ne peut donc pas plus que la nutrition nous servir à séparer d’une façon absolue les êtres vivants des corps non vivants.

Est-ce par la faculté de reproduction que les deux groupes d’êtres qui constituent, en se complétant l’un par l’autre, l’univers, sont séparables ? La monère, parvenue à une certaine taille, se segmente pour donner naissance à deux organismes nouveaux qui se séparent et vont vivre isolément. Il semble, au premier abord, qu’il soit bien difficile de trouver un phénomène semblable dans la matière non vivante. Examinons cependant avec soin ce qui se passe, d’une part, dans la monère, qui se divise, et, d’autre part, dans un corps inorganique dont les fragments placés dans des conditions favorables s’accroissent en un corps de même taille que celui qui les a produits, et nous arriverons, je crois, à nous convaincre que le fossé qui sépare, à cet égard, le monde vivant du monde non vivant, n’est pas tellement large que nous ne puissions, avec les données de la science actuelle, jeter un pont de l’un à l’autre de ses bords.

Quand une monère se divise, on a l’habitude de dire que cette division est spontanée, c’est-à-dire indépendante de tout agent extérieur et résultant d’une propriété exclusivement inhérente à la matière vivante, au protoplasma vivant de la monère. Lorsqu’au contraire nous voyons un corps non vivant, un cristal de sel marin, par exemple, plongé dans une solution du même corps, se rompre, nous disons que sa rupture a été, provoquée, qu’elle a été déterminée par un agent extérieur au corps qui se divise, par un courant d’eau frappant rapidement ce dernier, par un choc, etc.

Les deux ordres de phénomènes ainsi interprétés paraissent être absolument différents l’un de l’autre : l’un serait spontané, l’autre est manifestement toujours provoqué. Mais si nous étudions de plus près le phénomène de la division de la monère, nous pourrons facilement nous convaincre qu’il est soumis à certaines conditions extérieures, en dehors desquelles il ne se produit jamais, mais sous l’influence desquelles il se produit toujours. Cette étude, difficile à faire avec les monères que nous ne pouvons que difficilement nous procurer, peut être accomplie très aisément avec d’autres organismes vivants, et notamment avec certaines algues filamenteuses très