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probant que l’expérience de Mœbius. Comme le fait avec raison remarquer M. Hæckel, de ce que l’alcool produit dans de l’eau de mer un précipité gypseux floconneux, on n’est pas le moins du monde en droit de conclure que la substance visqueuse observée par Huxley, par Wyville Thomson, par Carpenter et par lui-même, n’est pas de nature albuminoïde. On n’aurait pas dû oublier non plus que M. Wyville Thomson avait, lors de sa première expédition, observé cette substance à l’état frais, et qu’elle s’était montrée à lui avec tous les caractères d’une matière vivante, y compris les mouvements.

Malgré cela, le Bathybius se trouva d’autant plus compromis, que M. Huxley lui-même abandonna son enfant aux critiques de ses détracteurs. On ne s’en occupait presque plus lorsque M. Bessel le retrouva dans les mers du sud. « Au cours de la dernière expédition au pôle nord, écrit M. Bessel, je découvris à une profondeur de 92 brasses, dans le détroit de Smith, de grandes masses de protoplasma homogène et libre, non différencié, qui ne renfermaient même aucune trace de coccolithes. La simplicité vraiment spartiate de cet organisme, que je pus étudier à l’état vivant, fit que je lui donnai le nom de Protobathybius. Ces masses étaient purement et simplement constituées par du protoplasma, auquel se trouvaient être mêlés accidentellement quelques-uns de ces corpuscules calcaires dont est formé le lit de la mer. Ces masses, d’une nature extrêmement visqueuse, affectaient la forme de réseaux aux larges mailles, elles exécutaient des mouvements amœboïdes, absorbaient des particules de carmin ou d’autres corps étrangers, et étaient animées de courants qui charriaient des granules. » Cette observation, confirmant celles de Carpenter et Wyville Thomson, de Huxley et de Hæckel, il me semble que l’existence du Bathybius ne peut plus être mise en doute.

Alors même d’ailleurs qu’on persisterait à contester la nature animale de cet organisme, on ne pourrait nier celle des autres espèces de monériens qui ont été découvertes et étudiées pendant ces dernières années. Or, tous ces organismes sont formés de protoplasma nu, sans noyau, sans enveloppe, sans organe d’aucune sorte. On peut encore moins nier la nature protoplasmique des plasmodies des myxomycètes dont j’ai parlé plus haut. Dans tous les cas, nous sommes en présence d’une matière vivante aussi rudimentaire que possible, jouissant de tous les caractères essentiels de la vie, se nourrissant, par intussusception, de matériaux ou aliments pris dans le milieu ambiant, respirant, c’est-à-dire prenant de l’oxygène dans l’air en y rejetant de l’acide carbonique et d’autres produits de désassimilation analogues à ceux qui se forment sous l’influence de la respiration dans les organismes les plus élevés, se déplaçant et changeant de formes, c’est-à-dire jouissant des mouvements dits spontanés des organismes supérieurs, enfin se montrant sensibles à la lumière, qu’on les voit fuir ou rechercher.