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Si l’on admet qu’à un moment quelconque de son existence la matière a été absolument immobile, il faut supposer que l’agent auquel elle a dû sa mise en mouvement était lui-même en mouvement. Il faut aussi supposer que cet agent avait de toute éternité été en mouvement et aussi qu’il était matériel. En effet, un agent immatériel n’aurait pu posséder la mobilité, c’est-à-dire la faculté de changer de position dans l’espace, et il aurait encore moins pu agir sur les corps matériels pour les mettre en mouvement. Secchi reconnaît, indirectement, il est vrai, mais très formellement, la valeur de cet argument quand il dit, en parlant de l’éther : « Sa matérialité est démontrée par l’échange de travail qui s’accomplit entre lui et la matière pesante[1]. » L’agent extérieur qui aurait imprimé le mouvement à la matière n’aurait donc pu détruire l’inertie première et supposée de l’univers qu’à la condition d’être lui-même matériel, c’est-à-dire d’être une portion de la matière universelle.

Si, pour éviter cette déduction nécessaire, on admet avec Buffon que la matière a toujours été en mouvement, « qu’elle n’a jamais existé sans mouvement », toute force extérieure à la matière devient inutile. Nous devons donc renoncer à parler plus longtemps de l’inertie de la matière. Cependant il n’en reste pas moins exact que tout corps matériel, et que même les atomes impondérables ou les atomes tourbillons de la matière pondérable, sont soumis à des chocs incessants qui modifient, activent ou ralentissent leurs mouvements ; il est vrai encore que tout corps comme tout atome ne peut être déplacé que par une action extérieure à lui-même. Mais, ainsi que le fait remarquer très justement un mathématicien de grande valeur, M. Kretz[2] : « Si une action est nécessaire pour déplacer un atome, cela tient entièrement à la présence du milieu. »

M. Kretz ajoute : « La matière doit alors être considérée non comme inerte, mais comme passive ; si on la conçoit isolée de son milieu, elle ne peut pas évidemment se mettre en mouvement sans cause externe, mais on la déplace sans effort et quand on l’abandonne à elle-même, elle reste où on l’a mise ; son inertie apparente est due uniquement à l’action de l’éther. »

M. Kretz, on le voit, n’admet pas plus l’inertie que nous ; il attribue l’inertie « apparente » de la matière pondérable à la résistance de l’éther ; il admet un état passif de la matière pondérable, c’est-à-dire comme il le dit, « l’absence de toute propriété »[3]. Mais il admet, avec tous les physiciens, que la matière pondérable peut être mise en mouvement par la matière impondérable, c’est-à-dire par l’éther. Ce qui suppose que l’éther lui-même est en mouvement et qu’il est matériel. Or, si nous admettons la théorie dès tourbillons de Thomson, de Secchi, de Marco, etc., la matière pondérable

  1. L’unité des forces physiques, 2e édit., p. 514.
  2. Matière et éther, indication d’une méthode pour établir les propriétés de l’éther, p. 28.
  3. Ibid., p. 30.