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aux jardiniers : que de jardiniers sont venus à Montbard pour l’entendre parler des Époques de la nature ! M. de Buffon ne parlait le langage de ses ouvrages que lorsqu’il était vivement ému. Sa parole était alors plus claire qu’élégante et le ton plus simple qu’ingénieux. Il recherchait particulièrement l’entretien des hommes qui pouvaient lui apporter quelques observations ou qui avaient beaucoup étudié et vu. Il les écoutait avec attention, les aidant, sans qu’ils s’en aperçussent, à traduire leur pensée. À personne il ne dit jamais : Vous êtes dans l’erreur, vous vous trompez, mais : Vous pensiez cela, votre intention était de dire telle chose, vous savez que, etc. Il évitait avec soin de blesser l’amour-propre, et il possédait à un haut degré cette délicatesse de l’âme qui consiste à indiquer par la façon dont une question est posée la réponse que l’on doit y faire. Aussi les hommes dont la conversation avait été pour lui la cause de quelque enseignement utile le quittaient satisfaits, et quelques-uns m’ont dit pendant que je les reconduisais : « Ce grand homme a vraiment le don de transmettre la science à ceux qui l’approchent ; nous avons répondu à toutes ses questions et nous avons trouvé en sa présence des idées dont nous ne nous serions pas crus capables ! »

Buffon était, non seulement un « joli garçon » selon l’expression de Mme de Pompadour[1], mais un des plus beaux hommes de son époque. Il est facile d’en juger par le portrait en pied de Drouais. Il était de haute taille, bien proportionné, avec un front large, fortement bombé de chaque côté, mais un peu fuyant, des yeux noirs, grands, des sourcils noirs et épais, mais le regard rendu vague et indécis par une myopie très prononcée. « Il ne fixait point ses regards sur son interlocuteur, mais il les promenait de côté et d’autre sans les arrêter sur rien. On reconnaissait à ses jambes qu’il tenait habituellement droites et tendues que la marche ne lui était pas familière. Son principal, presque son seul exercice, était de se promener de long en large dans sa chambre, d’aller à son cabinet de travail, placé en haut de ses jardins et d’en revenir. Il allait toujours tête nue[2]. » Hume qui le vit en Angleterre vers 1740, pendant un voyage qui dura un an et au cours duquel il fut accueilli avec un vif empressement par l’aristocratie anglaise, disait de lui « qu’il répondait plutôt à l’idée d’un maréchal de France qu’à celle d’un homme de lettres. »

D’après ses biographes, c’est en Angleterre qu’il adopta l’habitude de por-

  1. Buffon allait peu à la cour, et n’eut que rarement l’occasion de solliciter les faveurs de Mme de Pompadour. Il ne déplaisait pas cependant à la favorite. C’est à lui qu’elle donna, quand elle en fut lasse, son perroquet, son chien et son sapajou. La façon dont il parle de l’amour dans son histoire de l’homme déplut à Mme de Pompadour et on raconte qu’un jour, le rencontrant dans les jardins de Marly, elle le toucha de son éventail en haussant les épaules et lui jetant d’un ton d’humeur : « Vous êtes un joli garçon ; » la marquise avait été choquée de ce que Buffon eût dit qu’en amour le « physique seul est bon. »
  2. Humbert Bazile, loc. cit., p. 14.