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la terre étant réellement encore plus élevée en Sibérie que dans toutes les provinces qui l’avoisinent du côté du Nord, ces mêmes terres de la Sibérie ont été les premières abandonnées par les eaux, et par conséquent les premières où les animaux terrestres aient pu s’établir. Quoi qu’il en soit, il est certain que les éléphants ont vécu, produit, multiplié pendant plusieurs siècles dans cette même Sibérie et dans le nord de la Russie ; qu’ensuite ils ont gagné les terres du 50e au 40e degré, et qu’ils y ont subsisté plus longtemps que dans leur terre natale, et encore plus longtemps dans les contrées du 40e au 30e degré, etc., parce que le refroidissement successif du globe a toujours été plus lent, à mesure que les climats se sont trouvés plus voisins de l’équateur, tant par la plus forte épaisseur du globe que par la plus grande chaleur du soleil. »

Il applique les mêmes considérations aux végétaux : « Dans ce même temps, dit-il[1], où les éléphants habitaient nos terres septentrionales, les arbres et les plantes qui couvrent actuellement nos contrées méridionales existaient aussi dans ces mêmes terres du Nord. Les monuments semblent le démontrer ; car toutes les impressions bien avérées des plantes qu’on a trouvées dans nos ardoises et nos charbons, présentent la figure de plantes qui n’existent actuellement que dans les Grandes Indes ou dans les autres parties du Midi. On pourra m’objecter, malgré la certitude du fait par l’évidence de ces preuves, que les arbres et les plantes n’ont pu voyager comme les animaux, ni par conséquent se transporter du Nord au Midi. À cela je réponds : 1o que ce transport ne s’est pas fait tout à coup, mais successivement ; les espèces de végétaux se sont semées de proche en proche dans les terres dont la température leur devenait convenable[2] ; et ensuite ces mêmes espèces, après avoir gagné jusqu’aux contrées de l’équateur, auront péri dans celles du Nord, dont elles ne pouvaient supporter le froid ; 2o ce

  1. Époques de la nature, t. II, p. 100.
  2. Le déplacement ou, si l’on veut, la migration des végétaux est aussi bien démontrée que celui des animaux ; et Buffon a raison de dire que les plantes, comme les animaux, se sont lentement avancées vers les régions dont le climat leur convenait le mieux, tandis qu’elles disparaissaient dans celles dont la température cessait d’être adaptée à leurs besoins. Les plantes se déplacent, comme le dit Buffon, de proche en proche, par les semis ; mais elles peuvent aussi subir des migrations brusques, lointaines et rapides. Les fruits et les graines d’un grand nombre de plantes présentent des détails d’organisation admirablement adaptés à leur dispersion loin des pieds qui les ont produits. Les uns sont pourvus d’ailes ou d’aigrettes qui permettent au vent de les emporter à de très grandes distances ; d’autres sont armés de crochets qui se prennent dans les poils des mammifères ou dans le duvet des oiseaux, et qui facilitent leur transport en des localités souvent très éloignées de celles où ils se sont développés ; certains fruits ont une pulpe gluante qui les fait adhérer aux plumes des oiseaux ; d’autres ont leurs graines protégées par des noyaux très durs que les oiseaux ne peuvent ni broyer ni digérer et qu’ils rendent avec leurs excréments, parfois très loin du lieu où ils ont fait leur repas. Grâce à ces traits spéciaux d’organisation, les fruits et les graines d’un grand nombre de plantes sont disséminés sur une surface géographique d’autant plus considérable que les vents ont plus de force ou que les animaux qui servent à leur transport ont eux-mêmes une aire de dispersion plus étendue.