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avait au château, en permanence, une table de vingt-cinq couverts. Le personnage le plus important de la maison et le mieux payé était le cuisinier. Buffon y mettait de l’amour-propre ; c’était son seul luxe. Au reste, lui-même mangeait beaucoup, surtout des fruits. Son dîner était son seul repas ; c’était le seul instant de la journée où il fût entièrement à ses hôtes et aux visiteurs. On restait longtemps à table ; la sœur de Buffon, Mme Nadault, faisait les honneurs de sa maison. En dehors de ses heures de travail, Buffon n’aimait pas à s’occuper de choses profondes ; il laissait son esprit au repos. Sachant mettre chacun à son aise, il était chez lui accueillant et affable. Aimant à causer et parfois un peu à rire, il ne cherchait l’effet en rien. « La conversation de M. de Buffon, dit Mme Necker, a un attrait tout particulier. Il s’est occupé toute sa vie d’idées étrangères aux autres hommes ; en sorte que tout ce qu’il dit a le piquant de la nouveauté. » Pour lui, une question de littérature ou de science devait se discuter sérieusement. Aussi évitait-il avec soin, lorsqu’à table la discussion s’élevait sur des sujets de cette nature, d’y prendre part. Il se taisait et laissait dire. Mais que la discussion s’animât, qu’elle prît une tournure capable de l’intéresser, on voyait se réveiller le savant et l’homme de génie ; c’était alors, pour me servir d’une expression qui lui était familière, une autre paire de manches ! On se taisait et on l’écoutait parler. Lorsqu’il s’apercevait de l’attention qu’on lui prêtait, il s’arrêtait mécontent de lui : Pardieu ! disait-il, nous ne sommes pas à l’Académie ! Et la conversation reprenait le ton dont il n’aimait pas à la voir s’écarter. Après le dîner, chacun se dispersait. Buffon rentrait chez lui et s’occupait jusqu’au soir de ses affaires domestiques et de l’administration du Jardin du Roi, dictant à son secrétaire des lettres d’affaires ou des réponses à ses correspondants, au nombre desquels furent Catherine II et le roi de Prusse. Le soir, on se retrouvait au salon, grande pièce tendue en soie verte, décorée dans toute sa hauteur par les peintures des oiseaux décrits dans l’Histoire naturelle. Un secrétaire apportait le manuscrit auquel Buffon travaillait. »

Il ne se laissait détourner de ses travaux par aucune préoccupation étrangère. Presque indifférent, ainsi que je l’ai montré plus haut, à tous les événements qui ne l’intéressaient pas d’une façon directe, il ne prêtait pas grande attention aux critiques et aux attaques dont son caractère, sa conduite ou ses œuvres pouvaient être l’objet. Sur ce point, il avait fait du silence un système.

Le 6 août 1779, Guéneau de Montbelliard l’informe que la gazette de l’abbé Grosier, Journal de la littérature, des sciences et des arts, vient de publier une lettre dans laquelle un certain Gobet assure que les Époques de la nature ne sont que la réédition d’un manuscrit confié à Buffon par Boulanger. Buffon lui répond : « Grand merci, mon cher bon ami, tant à vous qu’à l’abbé Berthier, de cette gazette qui m’a fait quelque plaisir à lire et