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entre les éminences de la surface du globe, et même elles surmontèrent toutes celles qui n’étaient pas successivement élevées. On a des preuves évidentes que les mers ont couvert le continent de l’Europe jusqu’à quinze cents toises au-dessus du niveau de la mer actuelle, puisqu’on trouve des coquilles et d’autres productions marines dans les Alpes et dans les Pyrénées jusqu’à cette même hauteur. On a les mêmes preuves pour les continents de l’Asie et de l’Afrique ; et même dans celui de l’Amérique, où les montagnes sont plus élevées qu’en Europe, on a trouvé des coquilles marines à plus de deux mille toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer du Sud. Il est donc certain que dans ces premiers temps le diamètre du globe avait deux lieues de plus, puisqu’il était enveloppé d’eau jusqu’à deux mille toises de hauteur. La surface de la terre en général était donc beaucoup plus élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui ; et pendant une longue suite de temps les mers l’ont recouverte en entier, à l’exception peut-être de quelques terres très élevées et des sommets des hautes montagnes, qui seuls surmontaient cette mer universelle, dont l’élévation était au moins à cette hauteur où l’on cesse de trouver des coquilles ; d’où l’on doit inférer que les animaux auxquels ces dépouilles ont appartenu peuvent être regardés comme les premiers habitants du globe, et cette population était innombrable, à en juger par l’immense quantité de leurs dépouilles et de leurs détriments, puisque c’est de leurs détriments qu’ont été formées toutes les couches des pierres calcaires, des marbres, des craies et des tufs qui composent nos collines et qui s’étendent sur de grandes contrées dans toutes les parties de la terre.

» Or, dans les commencements de ce séjour des eaux sur la surface du globe, n’avaient-elles pas un degré de chaleur que nos poissons et nos coquillages actuellement existants n’auraient pu supporter ? et ne devons-nous pas présumer que les premières productions d’une mer encore bouillante étaient différentes de celles qu’elle nous offre aujourd’hui ? Cette grande chaleur ne pouvait convenir qu’à d’autres natures de coquillages et de poissons ; et par conséquent c’est aux premiers temps de cette époque, c’est-à-dire depuis trente jusqu’à quarante mille ans de la formation de la terre, que l’on doit rapporter l’existence des espèces perdues dont on ne trouve nulle part les analogues vivants. Ces premières espèces, maintenant anéanties, ont subsisté pendant les dix ou quinze mille ans qui ont suivi le temps auquel les eaux venaient de s’établir.

» Et l’on ne doit point être étonné de ce que j’avance ici qu’il y a eu des poissons et d’autres animaux aquatiques capables de supporter un degré de chaleur beaucoup plus grand que celui de la température actuelle de nos mers méridionales, puisque encore aujourd’hui, nous connaissons des espèces de poissons et de plantes qui vivent et végètent dans des eaux presque bouillantes, ou du moins chaudes jusqu’à 50 et 60 degrés du thermomètre.