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de l’Académie des sciences dans la section de mécanique, après avoir publié divers mémoires de géométrie et d’arithmétique.

Il manifesta, d’ailleurs, pendant toute sa vie un très vif amour pour le travail.

Encore très jeune, il prit l’habitude de se lever de grand matin, sans tenir compte de l’heure de son coucher. Son domestique avait l’ordre de le réveiller à six heures et de le contraindre à se lever. M. Humbert Bazile, un de ses secrétaires, dont M. Nadault de Buffon a recueilli et publié les mémoires, nous a conservé le récit qu’il faisait lui-même du procédé qu’il mit en œuvre pour atteindre ce résultat. « Dans ma première jeunesse, disait-il, j’aimais le sommeil avec excès ; il m’enlevait la meilleure partie de mon temps ; mon fidèle Joseph — (son valet de chambre, qui fut à son service pendant soixante-cinq ans) — me devint d’un grand secours pour vaincre cette funeste habitude. Un jour, mécontent de moi-même, je le fis venir et je lui promis de lui donner un écu chaque fois qu’il m’aurait fait lever avant six heures. Le lendemain, il ne manqua pas de venir m’éveiller à l’heure convenue ; je lui répondis par des injures ; il vint le jour d’après : je le menaçai. « Tu n’as rien gagné, mon pauvre Joseph, lui dis-je, lorsqu’il vint me servir mon déjeuner, et moi j’ai perdu mon temps. Tu ne sais pas t’y prendre ; ne pense désormais qu’à la récompense et ne te préoccupe ni de ma colère ni de mes menaces. » Le lendemain, il vint à l’heure convenue, m’engagea à me lever, insista ; je le suppliai, je lui dis que je le chassais, qu’il n’était plus à mon service. Sans se laisser intimider par ma colère, il employa la force et me contraignit enfin à me lever. Pendant longtemps il en fut de même ; mais mon écu, qu’il recevait avec exactitude, le dédommageait chaque jour de mon humeur irascible au moment du réveil. » — « Un matin, continue M. Humbert, et ceci me fut raconté par Joseph lui-même, le valet eut beau faire, le maître ne voulut pas se lever. À bout de ressources et ne sachant plus quel moyen employer, il découvrit de force le lit de M. de Buffon, lança sur sa poitrine une cuvette d’eau glacée et sortit précipitamment. Un instant après, la sonnette de son maître le rappela ; il obéit en tremblant. « Donne-moi du linge, lui dit M. de Buffon sans colère, mais à l’avenir tâchons de ne plus nous brouiller, nous y gagnerons tous deux ; voici tes trois francs qui, ce matin, te sont bien dus ! » Il disait souvent en parlant de son valet de chambre : « Je dois au pauvre Joseph trois ou quatre volumes de l’Histoire naturelle. » M. de Buffon se plaisait à raconter cette anecdote de sa jeunesse, pour guérir de leur paresse les personnes qui s’y laissaient trop facilement aller. »

Il est bien permis de penser que ses habitudes matinales ne tardèrent pas à agir puissamment sur le reste de sa conduite. Il se plaint de Paris, où l’on se couche trop tard et où les devoirs du monde absorbent la meilleure partie du temps, et il ne tarde pas à renoncer d’une façon presque absolue au séjour de la capitale pour vivre dans sa retraite de Montbard.