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cependant reste fermé à une idée qui paraît découler naturellement de toutes ses connaissances, de tous les faits sur lesquels il insiste le plus volontiers, de toutes les pensées que lui suggère le spectacle de l’univers et de ses transformations. Il admet que la terre a d’abord été entièrement couverte par les eaux et que, de fort bonne heure, les eaux ont été peuplées d’organismes vivants ; il semble donc qu’il doive être amené à penser que les animaux terrestres sont postérieurs aux animaux aquatiques ; c’est l’opinion contraire qu’il formule. Il admet que toutes les espèces d’animaux sont le produit de transformation d’un petit nombre de types, par exemple, dans le passage suivant[1] : « En comparant tous les animaux et les rappelant chacun à leur genre, nous trouverons que les deux cents espèces dont nous avons donné l’histoire peuvent se réduire à un assez petit nombre de familles ou souches principales desquelles il n’est pas impossible que toutes les autres soient issues, » et, pourtant, il ne lui vient pas à l’esprit de rechercher à quelle dates différentes de l’histoire de la terre les espèces filles sont issues de leurs parentes.

La raison de ces inconséquences, de cette absence de déduction, provient sans doute, en grande partie, de ce que Buffon ne connaissait pour ainsi dire pas les animaux inférieurs. Il n’étudia jamais que les oiseaux et les mammifères, c’est-à-dire les deux groupes les plus homogènes qui existent, ceux qui lui permettaient le moins d’entrevoir les grandes dates de l’évolution des êtres vivants. Quant aux invertébrés, il n’eut pas le temps de les étudier, il en parle avec une sorte de dédain qui témoigne de l’ignorance dans laquelle il était à leur égard. Je m’empresse de dire que cette ignorance était partagée par la plupart de ses contemporains. Il n’avait encore été fait que très peu de travaux sur les animaux inférieurs ; et ceux qui avaient été publiés n’étaient pas de nature à ouvrir les larges horizons de l’histoire du monde. Ajoutons que les espèces fossiles d’animaux et de végétaux n’avaient encore été étudiées que d’une façon très superficielle, au point que l’on considérait la plupart d’entre elles comme identiques avec celles de notre époque. Ces raisons sont plus que suffisantes pour rendre compte de la lacune immense qui se trouve dans l’œuvre de Buffon. Il n’a pas pu tracer l’histoire des transformations de notre globe, il n’a pas pu, malgré le désir qu’il en avait, décrire les « Époques de la nature », parce que les matériaux les plus indispensables lui faisaient défaut.

Difficultés de l’établissement des phases d’évolution de la terre. Rien n’est plus difficile, d’ailleurs, que de fixer l’époque exacte à laquelle se sont produites les transformations successives dont la surface de la terre porte les traces. Il importe d’abord de remarquer que les différents points de la terre n’ont pas été soumis en même temps aux mêmes causes modificatrices. Ainsi que l’avait bien compris Buffon, il s’est produit à la surface

  1. De la dégénération des animaux, t. IV, p. 494.