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ont déjà été à demi découverts par le choc des vagues. Au niveau du cap Gris-Nez, les blocs de roches s’avancent dans la mer à plusieurs centaines de mètres et y forment des écueils sur lesquels, chaque année, plusieurs navires se brisent. Deux ou trois forts qui jadis étaient sur la côte en sont aujourd’hui séparés par une plage large de plusieurs centaines de mètres que la mer recouvre à chaque marée. Plus bas, sur la côte de Bretagne, le mont Saint-Michel, aujourd’hui séparé de la terre, avec laquelle il communiquait autrefois, témoigne d’une destruction semblable de nos côtes par les eaux de la mer. Si l’on remonte vers le nord, on trouve sur les côtes de la Hollande des traces manifestes d’une action plus violente encore et probablement plus rapide ; la Hollande tout entière ne tarderait pas à être submergée sans les digues qui l’entourent. Du côté opposé, les îles Shetland sont en voie manifeste de destruction et ne tarderont probablement pas à disparaître en totalité sous les coups de la mer qui en use, ronge et brise les roches les unes après les autres. La côte du Yorkshire subit une destruction constatable d’année en année ; sur une longueur de 57 600 mètres, la destruction est de 2m,25 par an, c’est-à-dire environ 13 hectares de terrain. Dans le Norfolk, entre Cromer et Mundesley, la falaise recule de 4m,20 par an. Il me paraît inutile d’insister davantage. Ces faits sont assez connus de tout le monde et assez facilement constatables pour qu’on me dispense d’en énumérer un plus grand nombre.

Ils mettent bien en relief la puissance considérable de la mer envisagée comme agent destructeur ; ils permettent d’affirmer que, sous ses efforts incessants, les continents les plus élevés et les plus résistants sont destinés à disparaître lambeau par lambeau, comme ont disparu déjà un nombre considérable de terres dont les eaux recouvrent aujourd’hui la surface. Il est à peu près certain, par exemple, qu’à une époque relativement peu éloignée la Grande-Bretagne et la France étaient en relation directe par le Pas-de-Calais, de même que jadis la France ou, tout au moins, l’Italie et l’Afrique communiquaient par des terres que recouvrent aujourd’hui les eaux de la Méditerranée. Ces terres ont-elles été simplement détruites par la mer qui battait leurs côtes, ou bien se sont elles affaissées, tandis que d’autres points des continents, comme la région pyrénéenne et celle des Alpes, s’élevaient, ou bien encore leur submersion a-t-elle été déterminée par l’action combinée de ces deux agents ? Il est à peu près impossible de répondre à ces questions d’une manière positive.

Si nous ajoutons toutes les causes dans lesquelles l’eau joue le rôle d’agent destructeur à celles où le feu exerce la même action, nous pouvons facilement expliquer tous les phénomènes de destruction dont le globe a été le théâtre. Or, ces causes agissent encore de nos jours ; nous pouvons en constater les effets et en calculer la valeur. Elles rendent donc inutiles les révolutions brusques de Cuvier.