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Après avoir fait son droit à Dijon avec les présidents de Brosses et Richard de Ruffey, et avoir conquis le titre de licencié en droit, il se rendit en 1729 à Angers, sur le conseil du P. Landreville, de l’Oratoire, pour y suivre les cours de médecine, alors renommés de cette Faculté, et ceux, encore plus en vogue, de son académie d’équitation, qui attiraient à Angers tous les jeunes gens de famille.

Cela s’appelait faire son académie. À Angers, Buffon se lia étroitement avec le botaniste Berthelot du Paty, et il en fût sorti ou médecin ou botaniste, sans un duel qu’il eut, à propos d’une rivalité d’amour, avec un officier au régiment de Royal-Croates qui tenait garnison dans cette ville.

Il tua son adversaire, dut quitter précipitamment Angers, et se rendit à Nantes, puis à Bordeaux, où il fit une rencontre destinée à exercer une influence considérable sur sa vie, celle du duc de Kingston et de son précepteur allemand Hickmann.

Le jeune duc de Kingston était assez dissipé pour séduire Buffon, M. Hickmann était assez instruit et assez enthousiaste des sciences naturelles pour exercer sur son esprit une influence considérable. Trouvant auprès de ces deux hommes la satisfaction des deux penchants de sa nature, il s’attacha rapidement à eux et les accompagna dans le midi de la France et en Italie.

Le voyage dura deux ans. Les voyageurs, après avoir quitté Bordeaux, s’arrêtèrent à Montauban, Toulouse, Carcassonne, Béziers, Narbonne, Montpellier, Livourne, Gênes, Florence et Rome où se fit leur séparation, Buffon ayant été rappelé en France par la mort de sa mère, le 1er août 1731.

À en juger par sa correspondance, Buffon est tout au plaisir de son voyage. Ses lettres sont rares, courtes, presque vides de descriptions des choses qu’il voit et de jugements sur les hommes qu’il rencontre. Les quelques lignes qu’il leur consacre renferment des appréciations rapides, cassantes, des remarques faites de haut, avec une humeur très aristocratique et le scepticisme de mode au xviiie siècle. On y sent cependant un esprit doué d’une grande faculté d’observation et certains fragments figureraient sans désavantage à côté des lettres de Voltaire et de Diderot.

Il dit de la ville de Bordeaux : « Elle peut passer pour une des plus peuplées du royaume ; l’on y fait grand’chère, l’on y boit d’excellent vin ; mais tout est excessivement cher. Paris même, en comparaison, est un lieu de bon marché ; les habitants sont tous marchands, gens grossiers, si méprisés dans notre patrie, mais dont la façon de vivre me paraît la plus raisonnable. Ils ne font point de façons de préférer un ordinaire à une pistole par tête à des habits galonnés ou à un carrosse à six chevaux, et aiment mieux l’abondance dans la bourgeoisie que la disette dans la noblesse. Qu’en pensez-vous ? Pour moi, je ne peux leur donner tort. Il y a ici bonne comédie, concert à dix pistoles par souscription ; tout s’y sent de la richesse que produit