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dans le bas du glacier, en cascades rapides, sous des voûtes superbes de glace. La glace qui forme ces rivières solides n’est pas immobile ; elle glisse lentement sur son lit et se résout, au niveau de son extrémité inférieure, en un torrent liquide qui descend dans les plaines. La marche des glaciers suisses n’est que de 15 à 17 centimètres par douze heures ; Lyell calcule qu’un bloc de pierre emprisonné dans la glace et provenant de l’extrémité supérieure d’un glacier de 32 kilomètres de long mettrait cent cinquante ans pour atteindre l’extrémité inférieure. La marche est un peu plus rapide au centre que sur les côtés, comme celle des rivières ; elle est également plus rapide vers le milieu du glacier qu’à ses extrémités. Comme le lit du glacier n’offre pas la même longueur dans toute son étendue, comme il présente, au contraire, des parties larges alternant avec des cols étroits, on voit, au niveau de ces derniers, la glace se rompre en blocs qui s’entassent les uns sur les autres, en formant des figures aussi variées que fantastiques, rendues plus bizarres encore par la neige qui s’accumule dans leurs anfractuosités, arrondit leurs arêtes et pend de leurs corniches en voiles déchiquetés.

Sur le dos du glacier s’étendent toujours une ou plusieurs longues arêtes saillantes, formées de pierres, de blocs de rochers et de graviers, désignées sous le nom de moraine médiane. De chaque côté, ses flancs sont également bordés de pierres, de graviers, de rochers formant des moraines latérales. D’autres blocs de pierre sont incrustés dans la glace elle-même, qui entraîne tous les débris de son lit et des roches voisines pour les laisser tomber dans le torrent, dans lequel se résout son extrémité inférieure ; « effet comparable, dit Lyell, à celui qu’offrirait une file interminable de soldats qui, se dirigeant vers une brèche, y tomberaient morts aussitôt leur arrivée. » Enfin, les pierres incrustées dans la face inférieure et sur les faces latérales du glacier frottent contre les roches qui tapissent les parois de son lit, les usent, les rayent, les arrondissent et les creusent de sillons parallèles, caractéristiques, qui permettront plus tard au géologue de distinguer entre mille autres formes de roches celles qui ont été rayées par un glacier et les blocs qu’il a transportés, blocs auxquels on a donné le nom de blocs erratiques.

Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer la régularité de la marche des glaciers. Forbes supposait que la glace est un corps plastique, susceptible, quand elle était soumise à la pression, de se mouler sur les corps avec lesquels sa surface se trouve en contact, comme le font les corps visqueux ; de telle sorte qu’un glacier pourrait s’élargir, se rétrécir, tout en continuant à avancer, en se moulant sur les parois qui le limitent, comme le ferait un sirop très épais. Cette manière de voir a été généralement adoptée jusqu’à ce que Tyndall eût objecté que, si la glace était susceptible de se courber, de se rétrécir, de changer de forme sous l’influence de la pression, elle était, au contraire, incapable de se laisser étirer et étendre comme