Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

densent et tombent en grandes masses, en produisant des dénudations et des éboulements qui s’étendent parfois à une surface de 1 000 ou 1 200 mètres. « Nuit et jour, dit-il[1], on entend le craquement des arbres qui tombent et le fracas des cailloux qui s’entrechoquent violemment dans le lit des torrents. Ainsi usés par les frottements, les fragments rocheux détachés des collines se convertissent, pour une partie, en sable et en limon fin, et c’est bien plutôt à cette tourbe qu’à la désagrégation de l’argile très divisée des plaines inférieures d’alluvions que le Gange aux eaux troubles, durant son inondation, emprunte la plus grande quantité des sédiments qu’il charrie. »

Parmi les exemples remarquables de l’action produite par les pluies, tous les géologues se plaisent à citer les piliers de terre coiffés de pierres de Botzen, dans le Tyrol. Les vallées de l’Eisack et de l’Adige offrent, en ce point, un nombre très considérable de piliers de limon durci, à forme irrégulièrement pyramidale, coiffés chacun d’une, deux, ou d’un petit nombre de pierres, et s’élevant à une hauteur de 6, 10, 20 et même 30 mètres. Le limon qui les compose provient de la décomposition du porphyre rouge qui forme la masse principale des montagnes voisines. Ce limon porphyrique s’est d’abord accumulé en couche très épaisse dans les vallées, puis la pluie l’a dissout et entraîné, ne respectant que les points protégés par les pierres qui constituent aujourd’hui les piliers. Des piliers semblables existent dans le Valais suisse, à Stalden, dans la vallée de la Visp-bach, près d’Useigne, sur la Borgne, entre Sion et Evolena. Il en existe encore dans la plupart des vallées qui communiquent avec celle du Rhône, dans le voisinage du lac de Genève.

Est-il nécessaire de rappeler les ravins, parfois si profonds, creusés par les pluies ? Dans nos pays tempérés, ils ne présentent jamais une très grande étendue ; il en est autrement dans les pays où des pluies violentes et se répétant chaque jour, pendant des mois entiers, alternent avec une période de sécheresse de plusieurs mois. Pendant celle-ci, les terrains argileux se fendillent sous l’influence de la chaleur solaire ; puis, à l’époque des pluies, l’eau s’accumule dans les crevasses, en détrempe les parois qui se détachent, en creuse l’extrémité inférieure et ne tarde pas à les transformer en ravins larges, profonds et souvent d’une grande longueur.

Actions des cours d’eau. À l’action destructive produite directement par les pluies s’ajoute celle des ruisseaux, des torrents, des rivières et des fleuves. Sans insister beaucoup sur les faits de cet ordre, il me paraît utile de rappeler leur importance. Il suffit de parcourir une région montagneuse quelconque pour avoir une idée des transformations que les cours d’eau font subir, avec l’aide du temps, à la surface de la terre. On ne tarde pas à s’assurer que toutes les vallées et les

  1. Hooker’s Hymalayan Journal, in Lyell, Principes de géologie, t. Ier, p. 437.