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Nous reviendrons plus bas sur les preuves que Cuvier croit trouver dans les faits ; nous examinerons ces faits avec toute l’attention qu’ils méritent ; pour le moment, je me borne à dégager de l’œuvre de Cuvier l’expression de sa théorie. Il dit encore[1] : « Lorsque je soutiens que les bancs pierreux contiennent les os de plusieurs genres, et les couches meubles ceux de plusieurs espèces qui n’existent plus, je ne prétends pas qu’il ait fallu une création nouvelle pour produire les espèces aujourd’hui existantes ; je dis seulement qu’elles n’existaient pas dans les lieux où on les voit à présent et qu’elles ont dû y venir d’ailleurs. » Indépendamment des nombreuses et subites révolutions partielles qui se seraient produites à des époques très reculées de l’histoire de notre globe, Cuvier en admet une dernière, récente et beaucoup plus étendue. « Je pense, dit-il, que s’il y a quelque chose de constaté en géologie, c’est que la surface de notre globe a été victime d’une grande et subite révolution, dont la date ne peut remonter beaucoup au delà de cinq ou six mille ans, que cette révolution a enfoui et fait disparaître les pays qu’habitaient auparavant les hommes et les espèces d’animaux aujourd’hui les plus connus ; qu’elle a, au contraire, mis à sec le fond de la dernière mer, et en a formé les pays aujourd’hui habités ; que c’est depuis cette révolution que le petit nombre des individus épargnés par elle, se sont répandus et propagés sur les terrains nouvellement mis à sec, et par conséquent que c’est depuis cette époque seulement que nos sociétés ont repris une marche progressive, qu’elles ont formé des établissements, élevé des monuments, recueilli des faits naturels et combiné des systèmes scientifiques.

» Mais ces pays aujourd’hui habités, et que la dernière révolution a mis à sec, avaient déjà été habités auparavant, sinon par des hommes, du moins par des animaux terrestres ; par conséquent, une révolution précédente, au moins, les avait mis sous les eaux ; et, si l’on peut en juger par les différents ordres d’animaux dont on y trouve des dépouilles, ils avaient peut-être subi jusqu’à deux ou trois irruptions de la mer. »

Rapprochons ces citations et tirons-en la substance de la théorie de Cuvier : La terre a été l’objet de révolutions subites, nombreuses, plus ou moins générales, produites par des causes totalement différentes de celles qui agissent de nos jours ; chaque révolution a détruit toutes les espèces qui vivaient dans le lieu où elle s’est produite ; des espèces nouvelles venues d’ailleurs ont ultérieurement remplacé les anciennes, enfin, ces révolutions ont consisté dans un envahissement brusque des continents par les eaux de la mer ou, au contraire, dans un retrait non moins brusque des eaux qui mettait à sec les continents. Je dois ajouter, en passant, que Cuvier croyait à la fixité absolue des espèces. Mais je laisse de côté ce point que j’aurai à traiter plus tard avec toute l’attention dont il est digne.

  1. Discours sur les révolutions de la surface du globe, p. 135.