Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la lune, la présence d’une nouvelle planète, etc., sont des suppositions sur lesquelles il est aisé de donner carrière à son imagination ; de pareilles causes produisent tout ce qu’on veut, et d’une seule de ces hypothèses on va tirer mille romans physiques que leurs auteurs appelleront Théorie de la terre. Comme historien, nous nous refusons à ces vaines spéculations, elles roulent sur des possibilités qui, pour se réduire à l’acte, supposent un bouleversement de l’univers, dans lequel notre globe, comme un point de matière abandonnée, échappe à nos yeux et n’est plus un objet digne de nos regards ; pour les fixer il faut le prendre tel qu’il est, en bien observer toutes les parties, et par des inductions conclure du présent au passé ; d’ailleurs des causes dont l’effet est rare, violent et subit ne doivent pas nous toucher, elles ne se trouvent pas dans la marche ordinaire de la nature, mais des effets qui arrivent tous les jours, des mouvements qui se succèdent et se renouvellent sans interruption, des opérations constantes et toujours réitérées, ce sont là nos causes et nos raisons. »

Fort bien accueillie d’abord par quelques hommes du plus grand mérite, parmi lesquels il me suffira de citer l’illustre Lamarck, cette façon d’expliquer les transformations subies par notre globe, ne tarda pas à être vivement combattue. Sans parler des savants de second ordre, ni des personnages intéressés à la trouver fausse, qui firent effort pour la renverser, elle eut dans Cuvier, au commencement de ce siècle, un adversaire plus redoutable encore par sa haute position que par sa grande valeur scientifique[1].

Cuvier et les révolutions brusques. Observateur très sagace et très laborieux, mais esprit timide et peu généralisateur, analyste et non synthétiste, Cuvier vécut aux antipodes intellectuelles de Buffon. Il s’était adonné de bonne heure à l’étude de l’anatomie comparée et n’avait pas tardé à concevoir le désir d’édifier une classification des animaux qui fût de nature à rivaliser avec celle de Linné. En lui écrivant de venir à Paris, Mertrud[2] lui avait dit : « Venez jouer parmi nous le rôle d’un Linné. » C’est, en effet, à ce rôle qu’il prétend.

Buffon s’était efforcé de mettre en relief les affinités qui rapprochent tous les organismes vivants ; il avait, comme nous le verrons plus tard, posé les bases de la magnifique doctrine, aujourd’hui certifiée par des milliers de faits, qui montre tous les êtres dérivant les uns des autres ; en même temps que lui et plus tard, Lamarck avait accumulé les preuves en faveur de cette doctrine et en avait précisé les détails. Geoffroy Saint-Hilaire devait

  1. Georges Cuvier naquit à Montbelliard le 23 août 1769. Il mourut à Paris le 13 mai 1832. En 1794, il fut nommé suppléant de Mertrud à la chaire d’anatomie comparée du Muséum d’histoire naturelle de Paris. En 1795, il entra à l’Institut national, qui venait d’être fondé. En 1796, il professe à l’École centrale du Panthéon ; en 1802, il est nommé professeur au Muséum. En 1808, l’empereur le nomme membre du conseil de l’Université ; en 1813, il est maître des requêtes ; il devient ensuite conseiller d’État, président du comité de l’Intérieur, chancelier de l’Instruction publique et pair de France en 1831.
  2. Voyez la note précédente.