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perpétuellement à l’équilibre et au repos : cependant nous les voyons agitées par une forte puissance qui, s’opposant à la tranquillité de cet élément, lui imprime un mouvement périodique et réglé, soulève et abaisse alternativement les flots, et fait un balancement de la masse totale des mers en les remuant jusqu’à la plus grande profondeur. Nous savons que ce mouvement est de tous les temps, et qu’il durera autant que la lune et le soleil, qui en sont les causes.

» Considérant ensuite le fond de la mer, nous y remarquons autant d’inégalités que sur la surface de la terre ; nous y trouvons des hauteurs, des vallées, des plaines, des profondeurs, des rochers, des terrains de toute espèce ; nous voyons que toutes les îles ne sont que les sommets de vastes montagnes dont le pied et les racines sont couverts de l’élément liquide ; nous y trouvons d’autres sommets de montagnes qui sont presque à fleur d’eau, nous y remarquons des courants rapides qui semblent se soustraire au mouvement général : on les voit se porter quelquefois constamment dans la même direction, quelquefois rétrograder et ne jamais excéder leurs limites, qui paraissent aussi invariables que celles qui bornent les efforts des fleuves de la terre. Là sont ces contrées orageuses où les vents en fureur précipitent la tempête, où la mer et le ciel également agités se choquent et se confondent ; ici des mouvements intestins, des bouillonnements, des trombes et des agitations extraordinaires causées par des volcans dont la bouche submergée vomit le feu du sein des ondes, et pousse jusqu’aux nues une épaisse vapeur mêlée d’eau, de soufre et de bitume. Plus loin, je vois ces gouffres dont on n’ose approcher, qui semblent attirer les vaisseaux pour les engloutir : au delà j’aperçois ces vastes plaines toujours calmes et tranquilles, mais tout aussi dangereuses, où les vents n’ont jamais exercé leur empire, où l’art du nautonier devient inutile, où il faut rester ou périr ; enfin, portant les yeux jusqu’aux extrémités du globe, je vois ces glaces énormes qui se détachent des continents des pôles, et viennent comme des montagnes flottantes voyager et se fondre jusque dans les régions tempérées.

» Voilà les principaux objets que nous offre le vaste empire de la mer ; des milliers d’habitants de différentes espèces en peuplent toute l’étendue, les uns couverts d’écaillés légères en traversent avec rapidité les divers pays, d’autres chargés d’une épaisse coquille se traînent pesamment et marquent avec lenteur leur route sur le sable ; d’autres, à qui la nature a donné des nageoires en forme d’ailes, s’en servent pour s’élever et se soutenir dans les airs ; d’autres enfin, à qui tout mouvement a été refusé, croissent et vivent attachés aux rochers ; tous trouvent dans cet élément leur pâture ; le fond de la mer produit abondamment des plantes, des mousses et des végétations encore plus singulières ; le terrain de la mer est de sable, de gravier, souvent de vase, quelquefois de terre ferme, de coquillages, de rochers, et partout il ressemble à la terre que nous habitons.