Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forme de sédiment : or nous sommes assurés par les plongeurs qu’aux plus grandes profondeurs où ils puissent descendre, qui sont de vingt brasses, le fond de la mer est remué au point que l’eau se mêle avec la terre, qu’elle devient trouble, et que la vase et les coquillages sont emportés par le mouvement des eaux à des distances considérables ; par conséquent, dans tous les endroits de la mer où l’on a pu descendre, il se fait des transports de terre et de coquilles qui vont tomber quelque part et former, en se déposant, des couches parallèles et des éminences qui sont composées comme nos montagnes le sont ; ainsi le flux et le reflux, les vents, les courants et tous les mouvements des eaux produiront des inégalités dans le fond de la mer, parce que toutes ces causes détachent du fond et des côtes de la mer des matières qui se précipitent ensuite en forme de sédiments.

» Au reste, il ne faut pas croire que ces transports de matières ne puissent pas se faire à des distances considérables, puisque nous voyons tous les jours des graines et d’autres productions des Indes orientales et occidentales arriver sur nos côtes ; à la vérité elles sont spécifiquement plus légères que l’eau, au lieu que les matières dont nous parlons sont plus pesantes ; mais comme elles sont réduites en poudre impalpable, elles se soutiendront assez longtemps dans l’eau pour être transportées à de grandes distances.

» Ceux qui prétendent que la mer n’est pas remuée à de grandes profondeurs ne font pas attention que le flux et le reflux ébranlent et agitent à la fois toute la masse des mers, et que dans un globe qui serait entièrement liquide il y aurait de l’agitation et du mouvement jusqu’au centre ; que la force qui produit celui du flux et du reflux est une force pénétrante qui agit sur toutes les parties proportionnellement à leurs masses ; qu’on pourrait même mesurer et déterminer par le calcul la quantité de cette action sur un liquide à différentes profondeurs, et qu’enfin ce point ne peut être contesté qu’en se refusant à l’évidence du raisonnement et à la certitude des observations.

» Je puis donc supposer légitimement que le flux et le reflux, les vents et toutes les autres causes qui peuvent agiter la mer, doivent produire par le mouvement des eaux des éminences et des inégalités dans le fond de la mer, qui seront toujours composées de couches horizontales ou également inclinées ; ces éminences pourront avec le temps augmenter considérablement, et devenir des collines qui dans une longue étendue de terrain se trouveront, comme les ondes qui les auront produites, dirigées du même sens, et formeront peu à peu une chaîne de montagnes. Ces hauteurs une fois formées feront obstacle à l’uniformité du mouvement des eaux, et il en résultera des mouvements particuliers dans le mouvement général de la mer. Entre deux hauteurs voisines il se formera nécessairement un courant qui suivra leur direction commune, et coulera comme coulent les fleuves de la terre, en formant un canal dont les angles sont alternativement opposés dans toute l’éten-