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antérieurs à l’invention des arts. L’âge d’or de la morale, ou plutôt de la Fable, n’était que l’âge de fer de la physique et de la vérité. L’homme de ce temps encore à demi sauvage, dispersé, peu nombreux, ne sentait pas sa puissance, ne connaissait pas sa vraie richesse ; le trésor de ses lumières était enfoui ; il ignorait la force des volontés unies, et ne se doutait pas que, par la société et par des travaux suivis et concertés, il viendrait à bout d’imprimer ses idées sur la face entière de l’univers.

» Aussi faut-il aller chercher et voir la nature dans ces régions nouvellement découvertes, dans ces contrées de tout temps inhabitées, pour se former une idée de son état ancien ; et cet ancien état est encore bien moderne en comparaison de celui où nos continents terrestres étaient couverts par les eaux, où les poissons habitaient nos plaines, où nos montagnes formaient les écueils des mers : combien de changements et de différents états ont dû se succéder depuis ces temps antiques (qui cependant n’étaient pas les premiers) jusqu’aux âges de l’histoire ! Que de choses ensevelies ! combien d’événements entièrement oubliés ! que de révolutions antérieures à la mémoire des hommes ! Il a fallu une très longue suite d’observations ; il a fallu trente siècles de culture à l’esprit humain, seulement pour reconnaître l’état présent des choses. La terre n’est pas encore entièrement découverte ; ce n’est que depuis peu qu’on a déterminé sa figure ; ce n’est que de nos jours qu’on s’est élevé à la théorie de sa forme intérieure et qu’on a démontré l’ordre et la disposition des matières dont elle est composée : ce n’est donc que de cet instant où l’on peut commencer à comparer la nature avec elle-même et remonter de son état actuel et connu à quelques époques d’un état plus ancien.

» Mais comme il s’agit ici de percer la nuit des temps, de reconnaître par l’inspection des choses actuelles l’ancienne existence des choses anéanties, et de remonter par la seule force des faits subsistants à la vérité historique des faits ensevelis ; comme il s’agit en un mot de juger non seulement le passé moderne, mais le passé le plus ancien par le seul présent, et que, pour nous élever jusqu’à ce point de vue, nous avons besoin de toutes nos forces réunies, nous emploierons trois grands moyens : 1o les faits qui peuvent nous rapprocher de l’origine de la nature ; 2o les monuments qu’on doit regarder comme les témoins de ses premiers âges ; 3o les traditions qui peuvent nous donner quelque idée des âges subséquents : après quoi nous tâcherons de lier le tout par des analogies, et de former une chaîne qui, du sommet de l’échelle du temps, descendra jusqu’à nous. »