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d’une belle journée de printemps ou d’automne, les goëlands blancs passent à grands coups d’ailes, l’océan d’un bleu glauque renvoie les rayons du soleil en reflets métalliques qui dansent sur les vagues, et la blancheur des sables est éblouissante. Le grondement des lames s’abattant sur la plage retentit seul dans le silence de ce désert. Cependant, au milieu de ce décor grandiose et sauvage se déroule un saisissant épisode de la lutte continuelle que l’homme soutient contre les forces de la nature.

Sur un versant de dune descendant en pente assez douce vers la côte, se déploie une longue suite de travailleurs qui tournent le dos à la mer. Au premier rang sont des femmes, jeunes pour la plupart, séparées de deux en deux par des gars, qui ont pour mission de consolider le tapis de broussailles qu’elles étalent. Les uns et les autres allègent leur costume, car ils ne se ménagent point, et le soleil, dont rien ne les abrite, est ardent.

La plupart sont bras et jambes nus ; les hommes, maigres et vigoureux, ont une simple culotte et leur chemise, avec le petit béret landais posé sur le crâne ; les femmes, le corsage ouvert, portent jupe courte, et sont coiffées de la vaste benèze. Tous sont brunis par le hâle de la mer et du soleil.

On travaille allègrement, mais non sans échanger quantité de lazzis. Les femmes avec la serpe façonnent et parent en éventail les rameaux que leur jettent des enfants placés derrière, puis les disposent sur le sable à la façon des tuiles d’un toit. Leurs compagnons assujettissent ces branchages et jettent dessus des pelletées de sable qui les maintiennent. Le chantier opère à reculons.

Derrière ou devant cette ligne d’ouvriers, passe le semeur qui, de son « geste auguste », jette à la volée les graines sur lesquelles des oiselets pillards arrivent bientôt prélever un léger tribut.

Auprès des travailleurs vont et viennent le chef d’atelier qui commande, reprend, gourmande en quelques mots de patois, et le garde surveillant qui conduit le travail.

De temps à autre arrivent, cheminant péniblement sur le sable, des attelages de bœufs ou des chevaux de bât. Ils portent en charges débordantes les broussailles coupées au loin, et c’est à grands renforts de gestes et de jurons gascons que les excitent leurs conducteurs. Ceux-ci, aidés par les gamins, déposent les fagots par tas de proche en proche, pendant que le garde, soupesant ces bourrées, procède à leur réception. Puis bêtes et gens retournent chercher de nouvelles chaînes.

Le soir venu, toute l’équipe s’en va pêle-mêle à la cantine, cabane de planches et de chaume, abri de la nuit, trouver le souper et le repos bien gagnés, après un dur travail, qui, pour sembler perdu dans l’immensité de ces sables déserts et dévastateurs, ne les transforme pas moins peu à peu et sûrement en forêt féconde et bienfaisante.