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rée haute, les poissons abondent sur les bords du fleuve ; lorsque la marée descend, ils sont entraînés par le courant, se trouvent pris entre les haies du gord, et sont amenés dans les nasses. Ils y restent prisonniers jusqu’à ce que le pêcheur vienne, à marée basse, glissant sur la vase molle à l’aide de ce curieux batelet appelé pousse-pieds ou acon, vider les bourgnes.

Les gords ont existé de temps immémorial. Au xvie siècle, ils étaient déjà le mode de pèche le plus employé sur les bords de la mer de Gironde. L’inventaire de la terre de Lesparre, manuscrit déjà cité qui date de 1585, porte à propos de la rouille de Balirac (c’est-à-dire le chenal de Valeyrac) : « près du dit lieu y a une petite palu à inféoder et lieux commodes de gorps pour prendre le poisson. »

Ce qui a amené la suppression de ce mode de pêche, c’est qu’on lui reprochait d’abord de détruire une quantité énorme de poisson, parce que les branches des claies et les brins des nasses étaient si serrés que les plus petits poissons et les crevettes même ne pouvaient échapper. La critique était juste. On l’accusait en outre de rendre la navigation périlleuse, ce qui était faux. Par contre, les gords avaient le grand avantage de protéger les rives du fleuve, de favoriser considérablement leur colmatage et la constitution des mattes fertiles. Et de ce chef, on ne peut que s’associer à l’opinion de M. Goudineau, déplorant et critiquant leur suppression.

Voici quelques extraits d’un rapport rédigé le 8 novembre 1844 par le garde général des Forêts de Lesparre, à qui l’on avait demandé des renseignements sur la question. Ce mémoire est d’autant plus intéressant que son auteur n’avait aucun intérêt dans l’affaire et était forcément impartial :

« Le point de la Maréchale est distant du Verdon de 34 à 36 kilomètres environ. Il existe sur cette rive plus de 130 gords qui forment une ligne continue depuis By jusqu’à Talais. Les gords se trouvent ainsi à environ 300 mètres de la rade où peuvent mouiller en tout temps les petits bâtiments, et à 500 mètres de celle où les gros navires jettent l’ancre ordinairement. Ces pêcheries sont établies sur une ligne qui divise la plage en deux parties dont l’une présente un plan incliné vers la mer et l’autre une surface plane du côté de terre. On attribue cette inégalité de terrain à la présence des gords qui retiennent les vases, les sables, les coquillages, etc.… Sous ce rapport ils sont très utiles, parce qu’ils atténuent l’effet des vagues et les propriétés riveraines en éprouvent moins de dommages…

» Un gord peut prendre, terme moyen, 1 kg de poisson par jour, ce qui fait 365 kg par an et par gord, et pour 130 gords : 47 450 kg de poisson marchand, sans compter le petit poisson, les chevrettes, les crabes, etc., lesquels à 0fr60 le kg, pris sur les lieux, donnent une somme de 28470fr au moins.