en même temps sa parfaite tranquillité d’âme, afin de se prononcer en toute liberté de jugement. Or est-il possible de réunir ces deux conditions ? Sommes-nous capables à la fois de jouir et déjuger ? Richesses, honneurs, plaisirs sont par leur nature même, dit Spinoza, une telle distraction pour l’esprit ; ils l’occupent et l’absorbent à un tel point, qu’ils la mettent hors d’état de songer à un autre bien. « Pour le plaisir, l’âme se suspend tout entière en lui, comme si elle avait trouvé le repos dans un bien : jouissance qui empêche toute autre pensée, mais elle est suivie d’une tristesse profonde qui, si elle n’en interrompt pas le cours, trouble du moins et émousse la pensée. La poursuite des honneurs et des richesses n’est pas une préoccupation moins absorbante : le plus souvent on recherche la fortune pour elle-même, exclusivement, parce qu’on suppose qu’elle est le souverain bien ; et cela est encore plus vrai pour les honneurs, qui sont toujours regardés comme un bien en soi et comme la fin dernière de notre activité. Ajoutons qu’il n’y a point là, comme dans la recherche du plaisir, de place pour le repentir ; mais plus on a de richesses ou d’honneurs, plus la joie est grande ; de plus en plus, par suite, nous nous sentons poussés à en acquérir encore ; et, si quelque hasard trompe nos espérances, alors nous sommes saisis d’une extrême tristesse. Enfin les honneurs sont un obstacle d’autant plus fort à la liberté de l’âme que nous sommes obligés pour les acquérir de diriger notre vie au gré des hommes, de fuir ce que fuit le vulgaire et de rechercher ce qu’il recherche[1]. » En un mot, une fois l’âme séduite
- ↑ (i) Int. Em. ; I, 4.