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LES ÉTAPES DE LA PHILOSOPHIE MATHÉMATIQUE

tème spatial que l’on dérive de la constitution artificielle d’un domaine algébrique, suffise pour apporter une solution positive aux problèmes de la philosophie ; et les mathématiciens ne le prétendent assurément pas. M. Mansion, qui a tant de fois invoqué contre Kant l’autorité de Gauss, de Lobatschewsky, de Riemann, refuse à la géométrie non archimédienne de M. Hilbert la dénomination de géométrie : « Supposer que les distances ne sont pas des grandeurs, c’est supprimer la géométrie[1]. »

La difficulté que signale M. Mansion ne saurait être tranchée par des considérations purement techniques. D’une part, on voudrait demander aux recherches de la métagéométrie de nous instruire sur la nature de l’espace ; d’autre part, pour savoir dans quel cas ces recherches demeurent à l’intérieur du domaine de la géométrie et dans quel cas elles en sortent, il faut déjà posséder une notion de l’espace.

Mais ce qu’il est permis d’affirmer à titre définitif, c’est le caractère complexe de cette science euclidienne où l’on s’est plu pendant des siècles à voir le modèle de l’homogénéité rationnelle. Elle unit en elle les deux éléments d’ordre et de mesure que Descartes proposait comme objets à la mathématique. Chacun de ces éléments peut être cultivé à part, et donner naissance à des disciplines particulières.

Sans que nous devions suivre ici le développement de ces disciplines, il suffira pour notre objet de rappeler que, si avec Kant, on insiste sur l’intuition originale de l’espace comme déterminant la nature spécifique de la géométrie, il convient de faire une place aux différents types de géométrie non métrique : géométrie projective qui considère entre les éléments spatiaux les liaisons de direction et d’intersection, — géométrie de position ou Analysis situs qui ne retient que l’ordre de distribution, la relation d’entre. D’autre part, si avec Comte on voit dans la réduction des relations spatiales aux relations abstraites de l’algèbre la marque de la généralité dont la géométrie est susceptible, il convient de tenir compte de nouveaux types de calcul géométrique, tels que la théorie des quaternions de Hamilton, ou le calcul de l’extension de Grassmann[2].

  1. Annales de la Société scientifique de Bruxelles, t. XXIX, 1905, p. 200. Cf. Poincaré, Journal des Savants, 1902, p. 262 : «La géométrie non euclidienne respectait pour ainsi dire notre conception qualitative du continu géométrique tout en bouleversant nos idées sur la mesure de ce continu. La géométrie non archimédienne détruit cette conception ; elle dissèque le continu pour y introduire des éléments nouveaux. »
  2. Macfarlane, Les idées et les principes du calcul géométrique. Bibliothèque du Congrès international de philosophie (Paris, 1900), t. III, 1901, p. 405 et suiv.