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LA « MÉTAPHYSIQUE » DU CALCUL INFINITÉSIMAL

opérations fondamentales de l’analyse infinitésimale. En 1772, dans un Mémoire à l’Acdémie des Sciences de Berlin : Sur une nouvelle espèce de calcul relatif à la différenciation et à l’intégration des quantités variables, Lagrange écrit : « Le calcul différentiel, considéré dans toute sa généralité, consiste à trouver directement, et par des procédés simples et faciles, les fonctions etc., etc., dérivées de la fonction  ; et le calcul intégral consiste à retrouver la fonction par le moyen de ces dernières fonctions. Cette notion des calculs différentiel et intégral me paraît la plus claire et la plus simple qu’on ait encore donnée ; elle est, comme on voit, indépendante de toute métaphysique et de toute théorie des quantités infiniment petites ou évanouissantes[1]. »

En 1797, il publie une Théorie des fonctions analytiques contenant les principes du calcul différentiel, dégagés de toute considération d’infiniment petits ou d’évanouissants, de limites et de fluxions, et réduits à l’analyse algébrique des quantités finies. Dans cette œuvre, les mathématiciens modernes admireront « le merveilleux pressentiment du rôle que devaient jouer les fonctions… représentées par une série de puissances, ou séries de Taylor[2] ». Mais ils feront toutes réserves sur la valeur probante de la méthode suivie dans l’établissement des notions fondamentales. En regardant « comme déterminée la somme des termes que renfermerait une série quelconque prolongée à l’infini[3] », Lagrange suppose résolue la question capitale de la convergence des séries, dont Cauchy et Abel ont montré que l’étude préalable était nécessaire pour la justification rigoureuse des méthodes de l’analyse.

Ainsi, et cette conclusion sera confirmée par l’examen de la Mécanique Analytique[4], il semble que Lagrange se place à un point de vue « pragmatique[5] » : le développement en séries

  1. Œuvres, III, p. 443.
  2. Picard, La science moderne et son état actuel, 1905, p. 25.
  3. Cauchy, Sept leçons de physique générale, rédigées par l’abbé Moigno, 1868, 3° leçon, p. 25.
  4. Vide infra, § 174.
  5. Cf. les réflexions de Mach à propos du calcul des variations que Lagrange a définitivement introduit dans l’analyse : « Lagrange n’a pas donné et n’a même jamais cherché à donner de preuve ultérieure de sa méthode, qui s’est montrée d’une très grande fertilité. Son travail est entièrement original. Avec une perspicacité dont la valeur économique est très grande, il aperçoit les bases qui lui paraissent suffisamment certaines et utilisables pour que l’on puisse édifier sur elles. Les principes fondamentaux se justifient d’eux-mêmes par leur efficacité. Au lieu de se préoccuper d’en donner une démonstration,