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AVANT-PROPOS


Les difficultés que la philosophie rencontre aujourd’hui sont liées, pour une bonne part, au problème de la vérité. Elles s’expliquent sans doute par ce fait que les idées longtemps professées sur les méthodes et sur les résultats de la science sont devenues hors d’usage à mesure que le contact s’est fait plus étroit entre savants et philosophes. La rupture de l’équilibre traditionnel a pris la gravité d’une crise, du jour où elle s’est manifestée dans les mathématiques dont l’humanité avait tiré le type de la certitude inébranlable.

Il y a vingt-cinq ans, lorsque Jules Tannery publiait la magistrale Introduction à la théorie des fonctions d’une variable, il semblait que, pour rendre compte des mathématiques modernes, il suffisait de faire appel à la notion claire et distincte du nombre entier. Dans les premières années du xxe siècle, une révolution s’annonce par l’entrée en scène de la logique symbolique. Le concept aristotélicien de classe (ou de fonction propositionnelle) devient la clé de voûte d’un édifice dont les vastes proportions contrastaient avec les bornes de l’arithmétisme, et qui en même temps paraissait emprunter sa solidité aux éléments du discours pris en général. Mais, sous la pression de la contradiction qu’il y avait à réaliser l’univers du discours, classe de la totalité des classes, l’édifice s’est écroulé. La logistique, subsistant sans nul doute à titre de technique formelle, s’avoue impuissante à justifier la mathématique en tant que maîtresse de vérité.