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domaine de l’infime petitesse comme dans celui de l’immensément grand. Et toute l’autorité dont ils disposaient, ils l’ont employée à l’exorciser comme un sacrilège. Les Dieux naturellement, ou surnaturellement, s’en sont mêlés ; et la légende veut qu’Hippase de Métaponte, l’un des chefs des mathématiciens, ait trouvé une mort misérable pour avoir divulgué l’incommensurabilité de l’hypoténuse du triangle rectangle par rapport à ses côtés ou, ce qui revient au même, de la diagonale du carré qui aurait l’unité pour côté. Il a mérité l’excommunication majeure pour avoir « osé exprimer l’inexprimable, représenté l’infigurable, dévoilé ce qui eût dû rester secret ».

Alors il est arrivé que l’attitude pythagoricienne s’est cristallisée en une garde jalouse autour du fini et du discontinu qu’il s’agira de défendre contre toute contamination du continu ou de l’infini, position précaire et sans cesse menacée. En fait, c’est contre le postulat pythagoricien de la décomposition du réel en éléments discrets que Zénon d’Élée dirigera sa dialectique victorieuse, si généralement interprétée à contre-sens ; et Platon, se souvenant de Parménide autant que de Pythagore, ouvrira une brèche dans la muraille en distinguant des plans de participation à l’intelligibilité des nombres ou des Idées, plans où les irrationnels trouveront place aussi bien que le devenir. Enfin le cours de l’histoire se transforme lorsque, dès les premiers siècles du Christianisme, l’infini cesse décidément d’être l’imparfait et l’inachevé, principe de désordre et de mal qu’il faut dompter et limiter pour le soumettre à la loi de la mesure et de l’harmonie. Le Divin change de camp : il passe du fini à l’infini, de telle sorte que, par un curieux renversement du pour au contre, Pascal invoquera l’irrationalité de l’infinitésimal, qu’il manie avec une extraordinaire virtuosité dans ses travaux de géométrie transcendante, pour contraindre la raison humaine au silence devant les mystères de l’Écriture, pour confondre l’homme du monde, ignorant et libertin, qui se vante d’être sceptique en matière de mathématique comme en matière de foi. « Incroyable que Dieu s’unisse à nous » (objecte-t-il