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libération s’accomplisse définitivement. En 1635, Descartes pouvait écrire à Constantin Huyghens : « On voit bien plus de gens capables d’introduire dans les mathématiques les conjectures des philosophes que de ceux qui peuvent introduire la certitude et l’évidence des démonstrations mathématiques dans les matières de philosophie, telles que sont les sons et la lumière. »

C’est l’exigence cartésienne des idées claires et distinctes qui a entraîné les querelles sans trêve et sans issue entre l’augustinisme d’un Pascal et d’un Arnauld qui proclament le primat de la fides ex auditu et l’augustinisme d’un Malebranche pour qui « l’application aux mathématiques est l’application à Dieu, la plus pure et la plus parfaite dont on soit naturellement capable ».

Et deux siècles plus tard, y aura-t-il spectacle plus saisissant et plus significatif que de suivre l’évolution du positivisme d’Auguste Comte, tour à tour École et Église, reflétant terme à terme l’histoire tourmentée du pythagorisme ? Parmi les disciples de Comte, les uns ont le sentiment que l’on ne demeure positiviste qu’à la condition de ne pas dépasser les frontières de la science proprement dite, telles que Comte les a rigoureusement définies dans le cadre strict d’une méthode constituée sur la base des mathématiques. Les autres seront des acousmatiques cent pour cent, puisqu’à l’exemple de Comte vieillissant ils refusent à la mathématique le primat que le Cours de philosophie positive lui avait accordé.

Après avoir proclamé la loi du progrès à la manière des philosophes du xviiie siècle, le comtisme remonte décidément l’histoire de l’intelligence humaine jusqu’à réintégrer dans la synthèse subjective la foi en la vertu des « nombres sacrés » pour laquelle le prestige du pythagorisme avait servi de véhicule. Prenant l’histoire à rebours, reliant la « spontanéité fétichiste » à la « systématisation positive », il nous fait plonger à nouveau dans le lointain de la mentalité primitive.

Les études classiques de M. Lévy-Bruhl n’ont-elles pas montré comment, dans les sociétés inférieures que nous pouvons observer aujourd’hui, la pensée numérique,