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dans l’évolution des idées

à « faire jaillir des étincelles de sublime vérité du frottement enfantin des sons et des mots ».

Une seule chose demeure acquise ; la victoire complète des acousmatiques sur les mathématiciens, victoire telle que les acousmatiques, pour avoir conservé pieusement, pour avoir amplifié follement la foi dans les propriétés occultes du nombre, se feront appeler mathématiciens ; en cette qualité ils subiront, à côté des mages, les persécutions que les Empereurs exercent contre les groupes religieux qui se constituent à l’écart du culte officiel.

Ce qui obscurcit encore le problème pour l’histoire des idées, c’est un facteur très important dont nous avons dû faire abstraction jusqu’ici pour ne pas compliquer notre exposé, la combinaison de l’éclectisme néo-pythagoricien avec l’éclectisme néo-platonicien. Que le pythagorisme ait préfiguré le platonisme, cela est incontestable ; on retrouve des thèmes pythagoriciens à chaque détour de l’œuvre platonicienne, appelée à en multiplier la diffusion.

La méthode dialectique s’appuie à la rigueur de la démonstration mathématique : les Idées sont apparentées aux nombres, et, à mesure que Platon accuse dans le cours de sa carrière l’ascétisme de son enseignement, elles finissent par se confondre avec eux. D’autre part, lorsque les sages, savants et législateurs, se détournent du monde purement intelligible pour devenir attentifs à l’ordre de l’univers physique et de la société politique, ils se réfèrent à une norme de mesure qualitative, de limite harmonieuse, d’équilibre heureux — norme que les Pythagoriciens avaient appliquée, non seulement à la physique et à la médecine, mais encore au gouvernement des cités italiennes, de même que Platon en caressera le rêve pour Syracuse et pour Athènes.

La pénétration des doctrines paraît avoir été si loin que nous serions très embarrassés pour décider dans le détail en quels cas il est permis de dire que Platon pythagorise et en quels cas, au contraire, ce sont les Pythagoriciens qui, transposant audacieusement les noms et les dates, ont revendiqué pour leur École le bénéfice des progrès qui sont