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le rôle du pythagorisme

Je crois qu’on peut le dire sans ironie (et d’autant que l’ironie est un aspect du génie grec qui manque totalement aux Pythagoriciens), ce n’est pas le moindre service rendu par le pythagorisme que de s’être élevé au sentiment aigu du problème et de nous avoir instruit de nos contradictions par les siennes, nous contraignant ainsi à prendre parti sur le point crucial de notre destinée spirituelle.

Nous sommes obligés par l’histoire d’admettre, tout en ayant peine à comprendre, que ce sont les mêmes hommes, les premiers Pythagoriciens, qui se soumettaient à la discipline austère du raisonnement scientifique et qui auraient cru sacrilège de manger, je ne dis pas seulement de la chair des animaux, mais des fèves. Ils pratiquaient l’examen de conscience avec le sentiment profond du Dieu intérieur ; ils se seraient regardés comme coupables s’ils avaient omis de cracher sur leurs cheveux ou leurs ongles coupés, laissé sur la cendre l’empreinte de la marmite.

Sous l’autorité de l’enseignement pythagoricien, est-ce que ne nous ont pas été transmises deux conceptions de l’âme qui semblent appartenir à deux âges de l’humanité ? L’une s’apparente à l’orphisme et reflète ce mouvement d’Orient en Occident qui n’a jamais été interrompu au cours de l’antiquité : l’âme est une réalité qui se suffit à elle-même, pour qui l’incarnation à travers les corps successifs qu’elle revêt est une déchéance, un emprisonnement. L’espérance de l’initié sera de rompre le cycle des émigrations terrestres pour jouir de la vie bienheureuse, qui se conquiert à la poursuite de Dieu et qui a son siège dans le libre éther. Or, dans le Phédon, Platon fait exposer par le pythagoricien Simmias une théorie qui rompt avec le passé asiatique, qui s’inspire de l’observation médicale tout autant que d’un sentiment esthétique. L’âme est au corps ce que le son de la lyre est à la lyre ; elle est une harmonie qui dure tant que le pouvoir du nombre maintient dans la juste mesure les qualités opposées — chaud et froid, sec et humide — comme il unit l’aigu et le grave dans l’accord musical. Au concert des sphères célestes correspond ici-bas la vertu curative de la musique,