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le rôle du pythagorisme

Nous n’avons pas à développer davantage pour définir le spectacle que nous avons maintenant à méditer.

Sans que le nombre paraisse nous abandonner, nous avons passé de la théorie pure où la vérité s’impose dans la force et la sûreté de la démonstration à un système de représentations fantastiques dont l’autorité repose avant tout sur le prestige de la tradition collective, sur le penchant humain, trop humain, à la crédulité. Et, bien entendu, ce passage n’existe que pour nous, modernes, qui ne pouvons pas ne pas traduire dans le cadre d’un langage et d’une pensée différenciés les informations que les doxographes de l’antiquité nous transmettent. Il faut se représenter les choses tout autrement quand on songe au pythagorisme primitif qui, avant d’être une École, a sans doute été une Église apparentée aux sectes orphiques, et qui, en tout cas, devenant une École, n’a pas cessé de conserver la forme morale et sociale d’une Église. La liaison ou, si vous aimez mieux, la confusion des deux aspects avait sa racine dans la pratique du secret sévèrement et farouchement conservé : les initiés se séparent du vulgaire aussi bien par la profondeur et la subtilité d’un savoir qui virtuellement cependant demeure accessible à tous, que par le privilège d’un mot d’ordre sur lequel ils veilleront avec d’autant plus de jalousie et d’inquiétude qu’il est appelé à leur conférer plus d’avantages dans la vie et après la mort.

Seulement, derrière cette uniformité d’attitude extérieure, il y a un drame intime qui va traverser les siècles, le drame de la raison et de la foi. Pourquoi les Pythagoriciens s’attachent-ils au nombre ? Est-ce parce qu’il porte avec lui la lumière de l’intelligence, ou parce qu’au contraire il contient une vertu occulte qui surgira du sein de la nuit mystique ? Devons-nous, pour emprunter à Pascal son langage, trouver une clarté dans l’arithmétique qui mérite qu’on révèle les obscurités de l’arithmologie — ou, nous souvenant cette fois de Mæterlinck, avouerons-nous que l’éclat de la vérité est tel qu’il éteint nécessairement tout ce qui n’est pas elle ?