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sical facts, and these of the most obvious character). Il rappelle à cet égard les remarques décisives de Whewell : « Une vue confuse de faits très aisés à observer laissa longtemps aux hommes la croyance qu’un corps dix fois plus pesant qu’un autre tombe dix fois plus vite ; que les objets plongés dans l’eau sont toujours grossis, quelle que soit la forme de la surface ; que l’aimant exerce une force irrésistible, que le cristal se trouve toujours associé à la glace, et autres choses semblables. Ces exemples, et bien d’autres encore, prouvent combien les hommes peuvent être aveugles et négligents, même dans l’observation des apparences les plus simples et les plus communes, et comment nos facultés perceptives, quoique s’exerçant continuellement sur une multitude innombrable d’objets, peuvent pendant longtemps ne pas nous donner la connaissance exacte des choses. » (Apud P. II, 347.)

La théorie élaborée par Mill pour rendre compte des rapports entre l’expérience et la causalité nous paraît donc incapable de survivre au dilemme suivant. Ou cette première phase d’acquisition n’existe pas, au cours de laquelle les séquences externes s’enregistreraient dans le réceptacle d’un esprit purement passif. Ou elle existe, et le résultat n’en serait nullement le phénoménisme professé par Mill, ce serait le dynamisme vers lequel Biran remonte, ou plutôt, et pour reprendre une expression de William James, un supranaturalisme grossier : « La succession du vouloir et du mouvement est une des séquences les plus directes et les plus instantanées que nous offre l’observation, et dont l’expérience à tout instant nous est familière dès l’enfance, plus familière qu’aucune succession d’événements extérieurs à notre corps, et surtout qu’aucun autre cas d’apparente génération (et non de simple communication) de mouvement. » (III, v ; P. I, 395.) Et plus loin (Ibid, p. 398) : « Les suggestions de la vie de tous les jours étant toujours plus fortes que celles de la réflexion scientifique, la philosophie instinctive originelle garde son terrain sous les pousses obtenues par la culture et les empêche constamment de s’enraciner profondément dans le sol. »