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de Pascal ; car c’est là ce que la nature ne fournit pas, ce qui est tout entier de l’ordre de l’homme.

35. — Il y aurait donc, de l’exemple rappelé par Mill, un enseignement à tirer, qui nous paraît décisif contre la thèse de l’empirisme. La portée d’une expérience comme celle du Puy-de-Dôme ne se réduit nullement à ce résultat, non négligeable d’ailleurs, de mettre en évidence, suivant le procédé des variations concomitantes, une relation de proportionnalité inverse entre l’altitude où est faite l’observation et la hauteur de la colonne mercurielle. Son succès, qui a excité l’émerveillement, a consisté à déceler l’existence de l’antécédent que la nature dérobait à notre observation directe, alors que l’action en était pourtant tellement proche de nous, constante et considérable. Par suite, ce serait interpréter à rebours les conditions auxquelles ont été liés dans la réalité de l’histoire et l’effondrement de la physique scolastique et l’avènement de la science véritable, que de les subordonner à ce postulat qu’il s’agissait avant tout de raisonner sur un schéma du type de ceux que Mill se donne pour acquis, en les supposant fournis par l’expérience. À ce moment, le problème était effectivement résolu, comme il l’est d’ailleurs dès avant l’instant où commence le discours syllogistique. L’effort du génie créateur consistait à découvrir l’antécédent dont l’ignorance avait condamné à des conclusions erronées et imaginaires les inductions, impeccables en soi et impeccables selon Mill, des générations antérieures.

Pour nous, l’exemple auquel Mill fait une rapide allusion, a la force d’un témoignage susceptible de remettre en question toute la conception empiriste des rapports entre l’expérience et la causalité. Que John Stuart Mill n’ait pas réussi à prendre conscience d’une telle force, ce serait, à nos yeux du moins, un indice grave ; car cela signifierait qu’il était, au fond, et comme Maine de Biran nous a paru l’être, un philosophe d’école, plus préoccupé de défendre son système contre les doctrines rivales que de prendre, pour son propre compte, contact avec la réalité de l’expérience. La démarcation entre les spéculations antiques sur la nature et la conception moderne de la physique et de la chimie, il n’est pas allé la chercher où elle se trouvait, dans les révolutions d’ordre proprement scientifique dont les Galilée et les Descartes, les Torricelli et les Pascal, les Lavoisier enfin, ont été les initiateurs, mais dans les préceptes, abstraits, dans la rhétorique magistrale, d’un Bacon.

C’est à Bacon que Mill se déclare redevable de la conception fondamentale qui inspire sa théorie de l’induction : la