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de déterminer tous les antécédents, à moins que le phénomène ne soit un de ceux qu’on peut produire artificiellement. Même alors la difficulté n’est que mise au jour ; elle n’est pas écartée. On savait élever l’eau dans les pompes longtemps avant qu’on découvrît la cause réellement effective, à savoir : la pression de l’atmosphère sur la surface découverte de l’eau[1]. »

Ici le lecteur s’arrête un peu déconcerté ; car Mill lui demande d’admettre, avec une complaisance quelque peu exorbitante, qu’il suffira d’une allusion incidente pour boucher le trou béant, faute de quoi l’édifice de la Logique menace de s’écrouler tout entier.

Il y a lieu, tout au contraire, d’insister sur l’exemple que Mill choisit, et qui est des plus caractéristiques, puisque la découverte de Torricelli a eu cette conséquence de substituer la méthode de la physique moderne aux spéculations de la scolastique. Comment l’événement s’est-il produit ? Est-ce à la suite d’une révélation directement apportée par l’expérience ? Non ; car les fontainiers de Florence, en constatant que l’eau cessait de s’élever au delà de 33 pieds de hauteur, avaient effectivement recueilli tout ce que pouvait fournir l’expérience, même favorisée par les circonstances. Est-ce par une intelligence plus pénétrante de l’induction véritable, dont la génération de Torricelli aurait pu être redevable au Novum Organum de Bacon ? Pas davantage ; sans aller jusqu’à traiter, ainsi que fait Mach dans Erkenntniss und Irrtum, la théorie de l’horreur du vide comme une idée de génie[2], on peut soutenir que les physiciens scolastiques n’avaient pas manqué d’obéir par avance et avec la minutie la plus parfaite aux prescriptions méthodologiques de Bacon et de Mill ; ils avaient éliminé tous les antécédents non-causes du phénomène pour retenir l’antécédent lié toujours (jusqu’en 1633) à la production du phénomène, et ils se croyaient sûrs d’avoir saisi, à titre de fait constant dans la nature, l’horreur du vide[3]. Ils raisonnaient correctement, mais sur un schéma incomplet, qui devait les conduire nécessairement à l’erreur parce que la nature leur dérobait l’antécédent véritable.

En quoi donc a consisté la découverte de Torricelli ? Il faut

  1. III, viii ; P. I., 428.
  2. La Connaissance et L’Erreur, chap. XV, trad. Marcel Dufour, 1908. p. 266.
  3. Cf. Lasswitz, Geschichte der Atomistik vom Mittelalter bis Newton, t. I. 189), Hambourg et Leipzig, p. 205.