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simplement une condition du raisonnement, un artifice destiné à permettre le succès de la logique inductive. Bref, étendre à la méthode de la physique l’interprétation que l’empirisme avait adoptée pour la logique formelle, c’est être nécessairement ramené à la conception nominaliste qui, dans les principes et dans les lois, ne voit que des procédés de langage ; et telle était en fait la conclusion que l’école de Condillac avait tirée, un siècle avant John Stuart Mill, de l’application rigoureuse de la thèse empiriste.

Avec Mill, tout au contraire, l’empirisme a l’ambition d’échapper à une semblable conséquence. Il doit donc accepter d’avoir à faire la preuve que les lois de la physique ont leur objet dans la nature elle-même, et non dans le seul discours, que la causalité se justifie à titre de relation fournie par l’expérience ; ce qui suppose qu’il a commencé par s’affranchir du parallélisme entre la déduction syllogistique et l’induction expérimentale, auquel Mill s’était fié comme au fil conducteur de sa construction logique. Le tableau des concepts : Grand terme, moyen terme, petit terme, au travers desquels se meut la déduction syllogistique, peut bien être le produit d’une classification simplement verbale ; le formulaire des antécédents et des conséquents prétend ne contenir rien d’autre que les faits d’expérience. En effectuant ce passage au crible, qui, depuis Bacon, est considéré comme le secret de la méthode expérimentale, l’homme n’ajouterait rien à ce que comporte la nature, prise en soi ; il aurait pour rôle unique de retenir l’uniformité de succession, telle qu’elle résulte de la manifestation des phénomènes donnés au premier moment et des phénomènes donnés au second moment.

34. — Ainsi réapparaît, vitale pour la doctrine empiriste de la causalité, la question posée par Whewell et que Mill avait cru possible d’esquiver : est-ce que les faits se présentent réellement dans la nature sous la forme d’un groupe défini d’antécédents tels que A B C D, auquel succède un groupe défini de conséquents tels que a b c d ? Si l’on était fondé à dire oui, on serait du même coup fondé à consulter l’expérience, et l’expérience seule, pour connaître des uniformités régulières de succession. Mais il nous est difficile de croire que nous sommes autorisés à dire oui.

Mill n’est assurément pas sans avoir aperçu cette difficulté : « Si l’on était sûr d’avoir déterminé tous les antécédents invariables, on pourrait être certain que l’antécédent inconditionné, c’est-à-dire la cause, est quelque part dans le monde ; malheureusement, il n’est presque jamais possible