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pelant les critiques dont la doctrine du syllogisme a été l’objet. « Ceux qui protestaient contre la logique d’Aristote disaient du syllogisme, ce que le docteur Whewell dit des méthodes inductives… La grande difficulté est d’établir notre syllogisme, et non, après qu’il est établi, de juger s’il est correct. Comme question de fait, ils avaient, et le docteur a comme eux, raison[1]. »

Le rapprochement avec le syllogisme est certes intéressant, en ce qu’il souligne l’origine scolastique de la théorie de la causalité chez Mill. Il s’en faut pourtant qu’un tel rapprochement diminue la difficulté de la méthodologie inductive. Si Mill se plaçait au point de vue d’Aristote qui assimile le moyen terme du syllogisme à la cause et fait reposer la structure logique du syllogisme parfait sur les propriétés métaphysiques de l’essence, ou tout au moins au point de vue d’un Cuvier qui réintroduit dans la science de la nature le réalisme du moyen âge et imagine que Dieu a créé le monde en consultant un tableau préalablement établi des genres et des espèces, alors il serait naturel qu’il crût conférer au raisonnement expérimental un accroissement de valeur effective et de solidité lorsqu’il prétend le mettre sur le même rang que le raisonnement syllogistique. Mais Mill n’admet pas qu’il existe dans la nature telles choses que des essences ou des formes substantielles ; il n’admet pas que le tableau des espèces et des genres reproduise le plan de la création. Pour lui, il n’y a pas d’autre réalité que des faits particuliers dans l’état où les impressions des sens les fournissent ; quant aux concepts, ce sont des instruments employés pour grouper les faits dans des formules de connotation et de dénotation. L’univers des concepts est, suivant l’expression due à de Morgan, l’univers du discours. Le syllogisme est un instrument destiné à faciliter l’extension des inférences qui vont du particulier au particulier, en condensant dans une proposition unique le résultat de ces inférences.

Dès lors, si effectivement le formulaire que Mill suppose acquis pour appuyer et justifier son raisonnement expérimental — A B C D, a b c d — est du même type que le formulaire constitué par Aristote dans les Premiers Analytiques, la physique serait, au même titre que la logique formelle, une méthode de classification verbale, qui ne saurait correspondre à la réalité des choses ; et la causalité, en particulier, au lieu d’être une donnée de l’expérience, serait

  1. III, ix ; P. I., 479.