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CHAPITRE VII


EXAMEN DE LA DOCTRINE DE MILL


32. — Nous voudrions en avoir usé avec John Stuart Mill comme nous avions essayé de le faire avec Maine de Biran. Nous voudrions n’avoir négligé aucun des arguments par lesquels il a tenté, cette fois du point de vue de l’observation externe, d’établir une conception empiriste de la causalité. Et nous voudrions également, selon la méthode que nous avons pratiquée dans l’examen de la doctrine biranienne, peser la valeur des arguments d’après les principes d’estimation dont l’empirisme commence par admettre la validité.

Aussi n’est-il pas sans importance d’écarter dès l’abord une équivoque qui a beaucoup obscurci le débat. On a souvent objecté à la théorie de Mill qu’elle n’aboutissait qu’à une universalité et à une nécessité de fait, tandis que la loi scientifique comporte nécessité et universalité de droit : l’empirisme n’arriverait donc pas à rejoindre la science telle qu’elle existe. Pour notre part, nous croyons que l’objection n’ôte guère de sa portée à la doctrine de Mill. Il faut bien distinguer, pour employer une comparaison classique, entre la valeur nominale d’un billet d’émission et sa valeur réelle. La première dépend de la promesse inscrite sur le titre ; la seconde est liée à la richesse effective qui sert de garantie à la promesse. Le rationalisme promet plus que l’empirisme ; il ne se contente pas d’anticiper sur l’avenir en invoquant le passé ; il prétend se rendre indépendant du passé, subordonner l’avenir à une législation d’ordre éternel. Seulement, ce qui importe ce n’est pas le contenu de la législation, c’est l’autorité du législateur, c’est la garantie qui est susceptible d’appuyer cette autorité. L’acte de foi par lequel la raison humaine se ferait crédit à elle-même, ne saurait y suffire : il est nécessaire que le cours de la nature paraisse conforme aux prescriptions de la raison. De ce point de vue, les fonds de garantie que le rationalisme invoque, sont exactement ceux que l’empirisme fait entrer en ligne de compte. C’est